Critique – Les lanceurs de feu – Jan Carson – Sabine Wespieser
En Irlande du Nord en juillet, il est de coutume d’allumer des bûchers pour célébrer la victoire en 1690 du roi protestant Guillaume d’Orange sur son ennemi catholique Jacques II.
Malgré l’apaisement entre les deux communautés concrétisé en 1998 par l’accord du Vendredi Saint conclu après trente années de guerre civile pudiquement nommées « The Troubles », ce rite perdure.
En cet été 2014, Belfast est accablée par une chaleur inhabituelle. Mais il est vrai que rien n’est ordinaire dans cette ville du nord-est de l’Ulster. L’auteure la qualifie même de saugrenue.
Nous ne sommes qu’en juin et la capitale de l’Irlande du Nord s’embrase. Et ces « Grands Feux » qui la brûlent n’ont rien à voir avec ceux de la tradition ni avec les feux de joie que les habitants attisent ça et là en marge des cérémonies officielles.
Ces feux-là ont été allumés pour détruire. Sammy Agnew, la cinquantaine, sait qui les a déclenchés. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, il reconnaît, derrière un masque de Guy Fawkes, l’un des instigateurs de la Conspiration des Poudres, son fils Mark surnommé « le Lanceur de Feu » qui milite pour le respect des libertés civiques.
L’ancien paramilitaire loyaliste à la colère rentrée qu’il pense avoir inoculée à son fils se sent responsable de ce déferlement de violence.
Non loin de là, Jonathan Murray vit en autarcie avec sa fille, un bébé de quelques mois, un bébé qui ne doit pas parler et encore moins chanter, un bébé qu’il doit faire taire à tout prix car elle est le fruit d’une relation qu’il aurait eu avec une sirène aux pouvoirs d’ensorcellement…
Cela paraît farfelu mais on y croit parce que Belfast est tout sauf raisonnable.
En incarnant une époque et un lieu avec ces deux personnages d’hommes seuls, à la dérive et en quête de rédemption, Jan Carson, dont on s’étonne que « Les lanceurs de feu » ne soit que le premier roman traduit en français, nous offre une superbe parabole sur la paternité, la transmission, le déterminisme, le fatalisme, le sacrifice et sur le choix manichéen entre le Bien et le Mal.
Si son parti pris original fait la part belle au fantastique et à l’onirisme, son écriture, puissante, inventive et flamboyante, le magnifie.
L’une des plus belles et plus poignantes lectures de cette fin d’année.
EXTRAIT
Les gens du coin (…) supposent que n’importe quel individu plus sombre qu’un fromage de chèvre est plus que probablement africain. Ils ne sont pas racistes. Ils ont simplement très peu voyagé.
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