Critique – Les Preuves de mon innocence – Jonathan Coe – Gallimard

Critique – Les Preuves de mon innocence – Jonathan Coe – Gallimard


Avec « Les Preuves de mon innocence », Jonathan Coe, avec sa virtuosité habituelle, propose à ses fidèles lecteurs plusieurs récits en un.

Début du mois de septembre 2022. Dans quelques jours, la très conservatrice Liz Truss sera nommée à la tête du gouvernement du Royaume-Uni. Son mandat de quarante-neuf jours sera le plus court de toute l’histoire du pays.

Ironie de l’histoire pour cette ultralibérale : sa chute fut précipitée par les marchés financiers qui ne croyaient pas à son programme de baisse drastique d’impôts en faveur des plus riches.

Autre malice de l’histoire : elle dut organiser les funérailles de la reine qui était sur le trône depuis soixante-dix ans !

Depuis son départ du 10 Downing Street, elle a créé, au sein du parti Tory, la mouvance « Popular Conservatism ». Tout un programme !

Après son passage éclair au pouvoir, elle est l’une des personnalités politiques les plus impopulaires et a été battue lors d’élections législatives anticipées en 2024.

Moins de deux ans avant cet échec, Phyl a rejoint la maison familiale après trois ans d’études universitaires. Malgré son job dans un restaurant japonais, elle s’ennuie. « Lectrice vorace », elle envisage de se lancer dans l’écriture.

Elle va retrouver un peu de joie de vivre lorsque sa mère lui annonce l’arrivée de Christopher Swann, un ami de quarante ans rencontré à Cambridge.

Avec cette visite, Phyl fera une double découverte : le combat d’un journaliste contre les réacs qui dominent la politique et l’économie de part et d’autre de l’Atlantique ; Rashida, la fille adoptive de Chris, avec laquelle elle nouera une belle amitié.

Le pourfendeur des extrémistes s’apprête à infiltrer une conférence cruciale « sur l’avenir du mouvement conservateur. »

Celle-ci est organisée par la branche britannique du TrueCon, fondation d’origine américaine proche des trumpistes dont le discours ferait passer Margaret Thatcher pour une gauchiste.

Tout ce beau monde qui, pour certains, courent après les titres nobiliaires, souhaite le détricotage du Welfare State, le démantèlement de l’État, la fin de l’esprit woke et le triomphe des plus fortunés, dont la destinée est de s’enrichir toujours plus sur le dos des pauvres et des classes moyennes, aggravant ainsi une discrimination sociale déjà bien installée au Royaume-Uni.

Les marqueurs de classe en sont l’expression la plus manifeste. L’amusante scène de la « cérémonie du thé » illustre bien le fossé entre ceux qui maîtrisent les codes et les autres qui forment la populace, les premiers considérant celle-ci avec condescendance et mépris.

Avec l’assassinat de Christopher, le récit va virer au polar et l’auteur de « Testament à l’anglaise » va offrir sa plume à l’apprentie écrivaine qu’est Phyl.

Celle-ci va se lancer alors dans l’exploitation de trois genres littéraires qu’elle affectionne : le cosy crime entre Miss Marple et « Le Mystère de la chambre jaune », la dark academia façon « Maître des illusions » de Dona Tartt et l’autofiction.

De quoi entretenir le suspense et embrouiller le lecteur !

Si elle campe deux détectives en herbe, elle-même et son amie Rash, elle fait appel à une inspectrice haute en couleur sur le point de prendre sa retraite et de profiter de ce qu’elle aime le plus, à part les enquêtes, à savoir la bonne chère et les bons vins.

Elle imagine même un double fictionnel à Coe, un certain Thomas Cope qui obtint « un succès d’estime » avec son deuxième roman « Succession à la britannique ».

Avec son ironie cruelle et son humour noir « so british », Jonathan Coe dézingue avec délectation le glissement ultralibéral de son pays, tout en déplorant sa quête vaine d’une fierté nationale et d’une puissance définitivement perdue, dont le Brexit est l’une des manifestations les plus éclatantes.

Le tout sous le regard d’une génération Z désabusée et sans illusion, dont Phyl et Rash sont les symboles.

Sous couvert d’une farce et d’un Cludeo littéraire, Coe se penche sur l’ère dans laquelle nous sommes entrés et qui est plus dangereuse que l’agitation d’une bande de « néo-cons » qui a toujours sévi outre-Manche : celle de la post-vérité.

Il fait ainsi dire à Swann : « demain marquera la rupture définitive entre la Grande-Bretagne et la réalité. Demain marquera la fin de la vraie vie, et le début des fables. »

Glaçant et tellement juste.

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