Critique – Enfant de salaud – Sorj Chalandon – Grasset
Quelques semaines avant le début du procès de Klaus Barbie qui doit commencer à Lyon en mai 1987 et qu’il doit couvrir pour « Libération », Sorj Chalandon se rend à Izieu.
Madame Thibaudet, qui a dû acheter une bouchée de pain la maison où furent cachés des enfants juifs pendant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, l’accueille avec méfiance.
Le matin du 6 avril 1944, des soldats de la Wehrmacht encadrés par trois gestapistes ont raflé à cet endroit quarante-quatre enfants et sept adultes.
Seule Léa Feldblum échappera la mort. A son retour, elle pèse trente kilos.
En pénétrant dans la maison, le journaliste note tout. Pour que, à jamais, il conserve le souvenir des sacrifiés. Ce pèlerinage, il aurait aimé le faire avec son père, celui à qui il a déjà consacré un livre en 2015.
Cette fois-ci, c’est sur la période de la seconde guerre mondiale qu’il va se pencher après que son grand-père paternel lui a avoué, alors qu’il n’avait que 10 ans, que son géniteur avait été du « mauvais côté » et qu’il était « un enfant de salaud ».
La guerre, le patriarche l’avait souvent évoquée lors de colères homériques qui étaient sa marque de fabrique, mais sur sa guerre il faisait silence.
Sur l’insistance de son garçon, il lève un peu le voile sur son engagement dans la Résistance et confie qu’il a bien connu Jean Moulin… et Klaus Barbie ! « J’ai eu plusieurs vies et plusieurs guerres » ajoute-t-il mystérieusement.
Devenu adulte, Sorj Chalandon ne croit plus les mensonges de son père. Alors qu’il le pousse dans ses retranchements en le matraquant de questions, celui-ci annonce : « j’ai combattu dans la division Charlemagne ». Par anticommunisme. Il en rajoute une couche en affirmant qu’il a « défendu le bunker d’Hitler jusqu’au 2 mai 1945 ».
Je passe sur les multiples épisodes rocambolesques qu’il évoque à propos desquels le fils avoue une forme de soulagement. Son père, qui l’a frappé quand il était enfant, n’a pas porté « le béret de la milice français » qui aurait fait de lui un « criminel de droit commun », mais « le casque allemand » le transformant en « soldat perdu qui avait (…) défendu ses idées ».
La vérité est tout autre. Sorj Chalandon va la découvrir en ouvrant, juste avant que Barbie ne soit jugé, une mystérieuse boîte léguée par sa marraine. A l’intérieur, il découvre le casier judiciaire de son père qui lui apprend que ce dernier a été condamné à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale pour des « actes nuisibles à la défense nationale ». Son paternel lui a encore menti.
Commence alors le procès du « Boucher de Lyon » auquel le père de Sorj assiste à quelques mètres de son fils.
C’est ce moment qui déclenche chez l’auteur le besoin urgent de savoir enfin qui est cet homme qui a travesti si souvent son passé en imaginant d’autres vies que la sienne. Justement parce que la sienne était trop terne. Et quelle meilleure période qu’une guerre, vaste terrain de jeu, pour s’inventer des personnages !
Histoire d’un rendez-vous manqué, « Enfant de salaud » est le récit bouleversant d’un fils qui a besoin de la vérité pour se construire et d’un père souffrant d’une mythomanie pathologique, donc incapable de la lui donner. Alors que le rôle des parents est aussi de conduire leurs enfants vers la lumière.
EXTRAIT
- Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre.
- Ces quatre années ont été pour toi une cour de récréation.
- Ta vérité n’avait pas plus de sens que tes mensonges.
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