Critique – La littérature sans idéal – Philippe Vilain – Grasset
Pour Philippe Vilain, le constat est sans appel : la littérature se désenchante. Qu’entend-il par là ? En faisant fi d’un « idéal d’écriture », elle s’éloigne de l’art et du style qui sont sa raison d’être.
En reniant l’essence même de ce qui la constitue, la littérature d’aujourd’hui fait table rase du passé en se débarrassant des classiques dont le plus illustre représentant est, selon l’auteur, Marcel Proust. D’après Philippe Vilain, seul Céline trouverait grâce aux yeux de nos contemporains. « L’écriture rationnelle a été supplantée par une écriture émotionnelle » écrit-il. Pour étayer cette affirmation, il oppose Proust à Céline dans un combat dont le premier sort bien évidemment vainqueur. « A l’inverse de Proust, Céline n’écrit pas, il déparle » écrit-il.
Plus loin, il estime que la rupture revendiquée par les auteurs « modernes » avec leurs devanciers n’est qu’un leurre voire une imposture.
Les genres dans l’air du temps ne sont pas des créations ex nihilo :
- « la biofiction recycle ainsi (…) la biographie fictionnelle » ; elle entre en résonance avec la peopolisation des cerveaux
- l’autofiction s’est développée dans la lignée des « Essais » de Montaigne ou encore des « Confessions » de Rousseau qui invitent « l’homme à se prendre pour objet de lui-même ». L’auteur la qualifie avec justesse de « selfication des esprits ».
- le docufiction « hérite de la littérature populaire, du roman-feuilleton… »
La vogue de ces genres soi-disant post-réalistes serait liée au « culte du réel ». L’exemple le plus frappant est la manière dont les auteurs se sont emparés du 11 septembre 2001, événement hautement médiatique. Et de citer Frédéric Beigbeder, Luc Lang, Don De Lillo (j’ajouterai Jonathan Safran Foer, Paul Auster, Richard Bausch, Jay McInerney).
Et de s’interroger sur le bien-fondé de ces romans : ces fictions disent-elles « quelque chose que le réel ne dit pas » ?
La littérature post-réaliste, selon l’essayiste, « ne se caractérise plus par une objectivation du réel mais par sa subjectivation » ce qui signifie qu’elle « décrit sans analyser ». « Le roman (…) a renoncé à décrire l’aventure intérieure, existentielle, de ses personnages… » ajoute l’auteur en poursuivant : « ainsi, le roman se préfère-t-il d’aventures et d’actions, depuis qu’il n’est plus une aventure de l’écriture ».
L’écriture, justement, la grande affaire de Philippe Vilain, s’est internationalisée, aseptisée pour être « lisible par le plus grand nombre » et, par conséquent, être commercialisée au plus grand nombre.
Certains auteurs échappent à cette observation plutôt banale sur la mort du style. Et de mentionner les ouvrages de Laurent Mauvignier, Dany Laferrière, Lorette Nobécourt, Jean-Noël Pancrazi, Philippe Forest, Edouard Louis, Serge Joncour, Maylis de Kerangal, Richard Millet, Emmanuel Carrèren Jérôme Garcin, Mathias Enard, François Cérésa, Simon Liberati, Vincent Almendros.
D’autres, comme Annie Ernaux et Michel Houellebecq, sont engagés résolument dans « une poétique du désécrire dont la déconstruction est (…) l’ambition (…) de « ruiner l’idée de la littérature », selon la formule de Céline ». C’est un parti pris qui met en avant le fond sur la forme.
Il y a bien pire que cette justification de l’esthétique de l’inesthétique : ce sont les liens adultères que la littérature entretient avec le cinéma dont elle tire souvent une forme de légitimité. Pis, elle s’inspire de ses procédés narratifs.
Encore pire, la littérature dépend des diktats de ses lecteurs qui imposent leurs choix. « On ne lit plus pour être questionné, mais pour se divertir… » écrit l’auteur.
Pour conclure, Philippe Vilain exige que le monde de l’édition reconnaisse sa vocation commerciale et, comme la plupart des acteurs économiques, se conforme aux lois du marché en différenciant le prix des livres selon leur valeur littéraire ! Une décision radicale qui a peu de chances d’aboutir…
Je serai un peu plus optimiste que le polémiste : il restera en effet toujours des écrivains de niche qui raviront notre goût pour le beau style.
Enfin, j’ajouterai qu’on prend fort heureusement un grand plaisir à naviguer d’un thriller captivant à une oeuvre littérairement plus exigeante comme « La Recherche » par exemple.
EXTRAITS
Par style, je n’entends ni le beau langage mais la justesse orfèvre d’un accord avec son sujet, une plénitude d’expression qui subordonne le factice à une vérité essentiellement poétique, ni le « bien écrire » mais l’essence même de l’écrire, sa spiritualité, son immatérialité, ou, si l’on veut, son incarnation en l’espèce du Verbe…
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