Quand on parle de passion destructrice, on pense immédiatement au théâtre racinien (« Racine, c’est le supermarché du chagrin d’amour »). C’est ce qui arrive à Bérénice, une « héroïne » contemporaine, lorsque Titus la quitte. Pas pour obéir à la raison d’État mais parce qu’il a choisi de rester avec son épouse et ses enfants.

Pour mieux comprendre cet abandon et après avoir entendu une voix qui lui souffle « Quel ne fut mon ennui dans l’Orient désert », Bérénice se plonge dans l’œuvre du grand tragédien.
Cette immersion littéraire se double d’une découverte de la vie de l’adversaire d’un Corneille vieillissant. Une question découle de cette exploration biographique : comment cet orphelin élevé à l’abbaye du Port-Royal dans une ambiance toute janséniste a pu écrire les plus beaux vers sur le sentiment amoureux ? Très jeune, bien que ses professeurs le lui interdisent, Jean savoure avec délectation les Chants de l’Enéide de Virgile. C’est la lecture des auteurs païens de l’Antiquité gréco-romaine, alors qu’il baigne dans un environnement religieux très strict, qui va déterminer sa vocation pour l’écriture. Mais l’intimité qu’exige la création d’une immense œuvre littéraire n’empêche pas Racine de chercher la célébrité et la fortune, lui qui naquit dans la misère. Et dans ce 17ème siècle où les talents sont partout, il faut, pour espérer sortir de l’anonymat, plaire au roi. C’est alors un personnage ambivalent qui est dévoilé dans ce joli texte, un être capable de composer les alexandrins les plus purs et de trahir son « ami » Molière.
Dans une plume classique, Nathalie Azoulai, agrégée de lettres classiques, médite sur l’éternelle opposition entre la réalité et la fiction et rappelle combien les mots sont puissants. Ils peuvent même guérir nos peines de cœur…

EXTRAITS

La plaie qui l’a percée siffle dans sa poitrine. (…). Il se demande si l’alexandrin garantit l’excellence. Il n’en sait rien, mais tous les jours qui suivent, il réitère l’expérience et conclut qu’à défaut de chiffrer la beauté, on peut chiffrer la musique.

C’est parce qu’il y a la logique que la poésie est belle.

On fait semblant de ne parler que d’amour quand on ne pense qu’à l’argent

On peut passer une vie à se répandre en paroles qui ne disent rien mais qui chantent bien, dit-il un soir à son cousin

Comment écrire sur ce qu’on n’a jamais vécu ? Un auteur digne de ce nom n’a pas ce genre de scrupule

Doit-on sentir pour écrire ou l’inverse ? Vous êtes sensible à des nuances sans intérêt ! s’emporte Nicolas. Vous commencez à avoir l’esprit jésuite !

L’amour peut mener à la folie, il en est sûr, au dérangement total de l’esprit, l’hallucination, des milliers de serpents qui sifflent sur la tête, comme le dit Oreste.

Partout on encense ses vers, mais on blâme son goût du vice, de l’inceste et du mensonge.

On dit qu’il faut un an pour se remettre d’un chagrin d’amour. On dit aussi des tas d’autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité.