Critique – L’ange gardien – Jérôme Leroy
Berthet, personnage principal de la première partie de « L’ange gardien », qui en compte trois, est un tueur dandy à l’ancienne. Il travaille pour l’Unité, sorte de police parallèle, un État dans l’État devenu incontrôlable. Non content de lire de la poésie, il est tombé amoureux de Kardiatou Diop alors qu’elle était une adolescente grandissant à Roubaix. Vingt ans plus tard, elle est devenue secrétaire d’État d’un gouvernement de gauche et un double symbole, celui de l’intégration des minorités ethniques (elle est d’origine sénégalaise) et de la féminisation du personnel politique.
Lorsqu’il apprend que sa passion platonique, qui ignore son existence, va être parachutée à Brévin-les-Monts, une ville de la France périphérique comme l’appellerait le sociologue Christophe Guilluy, pour affronter une candidate d’extrême-droite, il sent le piège. Au courant de la machination qui se trame, il devient un danger pour l’Unité qui cherche à l’éliminer.
Pour que toute la vérité soit faite, il engage Martin Joubert, sorte de double de l’auteur, un écrivain qui file du mauvais coton depuis le départ de sa compagne, pour écrire ses Mémoires.
Offrant une vision très pessimiste, ou réaliste, c’est selon, de notre démocratie Jérôme Leroy poursuit son travail de dissection des dessous de notre système politique. Comme dans « Le bloc », on reconnaît quelques figures célèbres issues de tous les partis. Pour ne pas avoir d’ennui avec la justice, il confiait récemment à la Foire du livre de Brive en novembre dernier qu’Agnès Dorgelle, la pasionaria du Bloc, arborait une chevelure brune… Mais le lecteur n’est pas dupe.
Même s’il en rajoute beaucoup sur le complotisme ambiant (après tout, c’est le droit de la fiction), enfin j’espère, il parvient à nous entraîner, grâce à une construction impeccable, dans cette plongée au cœur de la corruption.
A ceux qui déplorent que la fiction ne porte pas suffisamment un regard critique sur les travers de nos sociétés modernes, je répondrai, avec Jean-Patrick Manchette, que « le polar est la grande littérature morale de notre époque ».
Autres raisons d’aimer « L’ange gardien » : des personnages hauts en couleurs et attachants, avec une prédilection pour Berthet, l’humour noir et cruel, l’amour du vin (merci à Dagueneau, Jousset, Lenoir, Jo Landron, Antoine Arena, Villemade, Jacky Blot pour leurs divines bouteilles) et de la poésie. « L’ange gardien » est un thriller politique, un livre de cave et une anthologie de poésie en un seul volume !
EXTRAITS
- « Berthet se dit que c’est indispensable de garder une certaine estime de soi quand on est amené à achever une femme nue, déjà martyrisée, dans des toilettes pleines de sang, au nom d’un rapport de force géopolitique somme toute très abstrait. » (p. 29).
- « Les années quatre-vingt sont définitivement aussi vilaines qu’un sac Adidas bleu électrique sur une table de cuisine en Formica rouge » (p. 44).
- « Une chambre qui pue, et des footeux au mur, Berthet est désolé pour la théorie du genre mais c’est une chambre de mec » (p. 108).
- « Bastienne Rouget non seulement sentait mauvais mais avait un badge propopalestinien, et du Hamas en plus. En soi, Martin Joubert n’y voyait pas d’inconvénient. Mais dans un collège peuplé à 80% d’Arabes, ça frisait la démagogie. » (p. 140).
- « Et Martin Joubert et Alex Guivarch (…) commencent à pontifier (…) avec des propos grandiloquents sur les écrivains qui sont les vrais clandestins de ce temps, sur la littérature qui est le dernier endroit où l’on peut faire circuler les informations cachées, sur le fait que tout est une question de montage. » (p. 149).
- « Les femmes n’aiment pas l’amitié entre hommes. Les femmes préféreraient encore que les hommes soient pédés parce qu’un homme qui a un ami est un homme qui risque bien de ne pas trouver essentiel de vivre dans une zone périurbaine avec barbecues dominicaux et réunions de parents d’élèves. » (p. 196).
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