Critique – Un jardin de sable – Earl Thompson – Monsieur Toussaint Louverture
Quel choc ! Donald Ray Pollock, génial auteur de « Le Diable tout le temps » et de « Une mort qui en vaut la peine », confie dans la préface de ce roman paru en 1970 qu’il n’écrirait peut-être pas s’il n’avait pas lu les livres d’Earl Thompson.
Le coup de poing est d’autant plus violent que ce texte de plus de 800 pages est autobiographique…
Jacky est né juste avant la crise de 1929 à Wichita dans le Kansas. Son père, d’origine suédoise, décède rapidement. Sa génitrice, Wilma, une jeune femme immature et un brin nymphomane, l’abandonne à ses parents. La Grande Dépression les enfonce chaque jour davantage dans la misère (l’écriture est tellement juste et réaliste qu’elle nous fait penser aux photos de Dorothea lange). Pourtant, sa grand-mère, pétrie de principes religieux, et son grand-père, anti-Roosevelt acharné à la rudesse bienveillante, lui apportent un semblant de règles morales. Voilà pour la première partie de « Un jardin de sable ».
Lorsque sa mère qu’il adore vient le chercher pour l’emmener dans le Mississippi où vit son nouveau mari, Jacky croit qu’une nouvelle vie s’ouvre à lui. Finis la pauvreté, la crasse, la faim, le froid, les taudis, la promiscuité, l’absence d’intimité, le mépris. Le garçon va vite déchanter car, pour ces gens-là, la misère est la même partout. Bill, le compagnon de Wilma, est en effet un fainéant alcoolique, violent et méchant.
Jacky, très précoce, s’éveille à la sensualité et c’est dans les bras de sa mère, devenue pute pour subsister, qu’il va connaître ses premières expériences sexuelles décrites avec précision et crudité (parfois trop) par l’auteur. Cet inceste, qui m’a donné la nausée, est comme une bouée à laquelle le fils et la mère, dont l’amour, même perverti, est incontestable, se raccrochent pour survivre, pour oublier la solitude. C’est ainsi que je l’ai ressenti.
Récit à la puissance tripale, « Un jardin de sable » est un roman noir dérangeant où lyrisme et âpreté se côtoient. Bref, une expérience éprouvante qui ne laissera personne indemne. D’autant plus qu’elle est inspirée de la vie d’Earl Thompson. On comprend que les bonnes âmes l’aient vilipendée à sa sortie. Pourtant, face à l’innommable, deux attitudes sont possibles : rejeter ou tenter de comprendre. Et puis, il est toujours possible de fuir, d’aller de l’avant et de réaliser ses rêves… Devenir marin par exemple pour suivre ce petit garçon sans repères si attachant.
Merci aux éditions Monsieur Toussaint Louverture d’exhumer des textes un peu oubliés.
EXTRAITS
- Y a pas moyen de garder quoi que ce soit en bon état. Tout se gâte, se casse, se moisit, ou alors ramasse des punaises ou des puces.
- Et une femme mariée, qu’est-ce que c’est, alors, sinon une pute trop fainéante pour aller tapiner ? C’est le monde entier qu’est un vaste boxon, chérie.
- Le seul moment de soulagement de cette femme était la catharsis sanglotante dans laquelle elle se réfugiait après qu’une baffe retentissante l’eut envoyé fourrer son nez dans l’oreiller sur son vieux lit tout déglingué.
- Toute cette immense planète, c’est un immense trou de balle.
- Sur toute cette terre, il n’y avait pas un petit garçon plus seul que Jacky.
- Ils étaient tous les deux sur un fleuve, dérivant lentement, isolés du monde dans leur bulle de douceur, loin, si loin des rives.
- Pris entre le marteau de la pauvreté comme échec moral personnel et l’enclume de ce miroir aux alouettes qu’était la récompense matérielle d’une citoyenneté à laquelle ils ne pouvaient jamais prétendre, ils étaient des réprouvés partout où ils jetaient l’ancre.
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