Critique – Des mots et des actes – Jérôme Garcin – Gallimard

Critique – Des mots et des actes – Jérôme Garcin – Gallimard


« L’homme n’est rien d’autre que la série de ses actes ». Cette phrase tirée de l’« Introduction à la philosophie de l’Histoire » de Hegel et mise en exergue de l’essai de Jérôme Garcin sur les belles-lettres sous l’Occupation résume le propos de l’auteur de « L’Écuyer mirobolant » qui rappelle combien « les mots peuvent tuer ».

Adolescent, il attendait beaucoup de la littérature et s’érigeait, comme Proust le fit, « contre Sainte-Beuve et ses alliés, les sycophantes, qui ont l’œil rivé sur le petit trou de la serrure et de la lorgnette ». Pour lui, seul comptait le texte. C’est en khâgne que son regard change lorsqu’il découvre Jean Prévost, son œuvre et sa vie écourtée par les balles nazies.

« Il fut donc le seul écrivain français à mourir les armes à la main » écrit-il.

À partir de ce moment, il lut autrement avec en tête l’adage célinien que l’ermite de Meudon ne s’appliqua pas : « on ne se méfie jamais assez des mots ».

Suit alors une série de portraits d’écrivains qui se sont accommodés de l’Occupation ou ont collaboré avec l’ennemi et qui, pour certains, ont été réhabilités, voire encensés une fois la guerre terminée. Pis, nombreux sont ceux qui n’ont pas regretté leurs compromissions et ont même continué à entretenir dans leurs écrits la haine des Juifs, des communistes ce qui fait écrire à Garcin : « en France, le passé ne passe pas ». 

Qui sont ces hommes indignes ?

  • Robert Brasillach qui fut passé par les armes après un procès expéditif et le seul à avoir payé pour tous les autres. Malgré ses ignominies, il a ensuite bénéficié d’une campagne de purification par des nostalgiques des années 1940. Jusqu’à apparaître dans des manuels scolaires…
  • Jean Cocteau le mondain et l’opportuniste qui n’est, bien sûr, pas le pire de tous. S’il n’a en effet dénoncé personne, s’il a tenté de sauver son ami Max Jacob, il a bien profité de sa proximité avec l’ennemi et a entretenu une forme de complicité mondaine avec celui-ci.

– Jacques Chardonne louangé par le premier président de la République socialiste qui le qualifia de »gloire charentaise ». Il fit amende honorable après la guerre. Contrairement à son « camarade » épistolaire, l’auteur du magnifique « Milady ».

  • Paul Morand, grâce à sa belle plume, qui « entrait, tête haute, dans la Pléiade » alors qu’il « sentait la vieille France moisie » antisémite, vichyste et pro-nazie.
  • Bernard Grasset, l’éditeur indigne qui, malheureusement, ou pas, ressemblait à Hitler. Il publia des textes abjects d’Abel Bonnard, de Drieu la Rochelle, de Goebbels, et même de son sosie. Lors de son procès, il affirma n’avoir jamais cru le moindre mot de ce qu’il avait écrit. Après une peine minime, il reprit les rênes de sa maison d’édition.
  • Et bien sûr, il y a le bon docteur Destouches qu’on ne présente plus !

    Très récemment, Gallimard a édité « Guerre », un texte inédit de Céline. Dans son avant-propos, François Gibault, ayant droit de la veuve de l’auteur du « Voyage au bout de la nuit », ne fait aucunement référence à sa responsabilité dans le climat de haine antisémite qu’il a entretenu !

    Face à un monde littéraire quasi majoritairement pétainiste et pro-allemand, une poignée d’hommes courageux s’est élevée pour refuser la soumission et résister.

    Pourquoi n’avoir mis que trois étoiles à ce court texte à l’écriture élégamment classique ? Justement en raison de sa brièveté.

    En fait, j’imaginais lire une ample fresque historico-littéraire et mon attente a été déçue. D’autant plus que Jérôme Garcin semble avoir recyclé des livres qu’il a déjà écrits sur Jean Prévost (« Pour Jean Prévost », 1994) et Jacques Lusseyran (« Le Voyant »).

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