
Critique – Ruquier, vies secrètes – Marcela Iacub – Harper Collins
Auditrice occasionnelle de « Rien à cirer » sur France Inter et téléspectatrice, tout autant occasionnelle, du talk-show « On a tout essayé » sur France 2, j’ai toujours remarqué chez Laurent Ruquier, derrière son physique dégingandé et son léger zozotement, une fêlure, l’impression d’un corps qui l’encombre duquel se dégage une grande pudeur.
En quelque cent soixante-dix pages composées à partir de rencontres hebdomadaires avec « l’objet d’étude », Marcela Iacub, l’une des rares universitaires de l’émission phare de RTL « Les Grosses Têtes », tente de sonder le mystère qui entoure celui qui est né au Havre au début des années 1960.
Car c’est en puisant dans l’enfance qu’on comprend le plus souvent l’adulte.
Lorsqu’il vit le jour dans la cité portuaire, sa mère espérait une fille. Elle lui acheta ainsi un manteau très genré au prétexte qu’il était moins cher et le scolarisa plusieurs années dans une école de filles parce qu’il n’y avait plus de place chez les garçons ! De là à penser que ce malentendu fut à l’origine de l’homosexualité de l’animateur, Marcelu Iacub ne s’y risque fort heureusement pas.
Alors que l’enfant Ruquier adule son père, chaudronnier aux chantiers navals, qui ne lui rend pas cette adoration, les relations sont plus compliquées avec sa daronne en raison de l’indifférence de celle-ci.
Ses capacités d’amour, elle les réservait à son mari, un homme qu’elle idolâtrait sans que cette passion soit réciproque.
Souvent, les gens avares de sentiments ont un rapport à l’argent qui relève de la pingrerie. Et inversement. Raymonde (Binet a décidément bien choisi le prénom de l’élément féminin des « Bidochon » !) ne déroge pas à cette règle.
De même, dans le registre de la cuisine, geste de générosité par excellence, Raymonde n’est pas à la hauteur. « Vous mangiez des repas horribles » note Marcela Iacub.
A contrario, Laurent Ruquier est, selon son amie, « monstrueusement généreux ». Comme pour conjurer la mesquinerie de sa mère dont il tenta pourtant d’adoucir la vie en lui offrant ce que seul l’argent peut offrir : une maison, des voyages… Comme s’il voulait s’excuser d’être riche.
En transférant l’amour qu’il n’a pas éprouvé pour sa mère sur ses amis plus âgés – la délicieuse Claude Sarraute et l’incontrôlable Pierre Bénichou pour n’en citer que deux -, il perçoit peut-être inconsciemment chez eux quelque chose de celle qui l’a fait naître.
De même, pour oublier la froideur parentale et la solitude dont il a souffert, il se crée des familles à la fois professionnelles et personnelles dont il est le meneur.
Ce qui peut susciter un certain intérêt dans cette chronique biographique, c’est le parcours singulier du transfuge de classe qu’est Laurent Ruquier, à mettre en parallèle avec d’autres ayant effectué un trajet différent tels Annie Ernaux, Didier Éribon ou encore Édouard Louis que ceux-ci ont consigné dans leurs livres.
Ce qui n’est pas le cas du chef de la bande des « Grosses Têtes », à part dans « Radiographie » (2014).
A contrario de certains transclasses, il n’a jamais renié ses origines populaires. Même s’il avoue en avoir eu un peu honte.
Ses racines modestes lui font dire, encore plus aujourd’hui, qu’il n’a pas de légitimité culturelle, qu’il n’a pas la carte.
Cette différence a formé chez lui une blessure entretenue par une forme de paranoïa.
Chaque mauvaise critique est ressentie comme une attaque à ses racines sociales.
Chaque dénigrement le rapproche davantage de son public qu’il chérit sans aucune démagogie et avec modestie. Ce qui fait remarquer à l’autrice qu’il est « un animateur démocratique. »
En donnant la parole, dans son émission radiophonique, à des chroniqueurs de tous bords, il respecte la diversité de ses auditeurs.
En revanche, l’autrice est particulièrement agaçante lorsqu’elle entonne les sempiternel refrain sur la gauche qui aurait abandonné le peuple jeté « en pâture aux populismes. »
Quand elle analyse les raisons qui ont entériné le divorce entre Ruquier et France 2, elle met en avant la colonisation des médias du service public par « la gauche radicale », « par le féminisme mouvance #MeToo », « par un antiracisme centré sur l’antisionisme, par l’idée que c’est la censure et non pas le débat démocratique qui est la seule pour façonner la pensée publique »… Fichtre !
Son ami serait en quelque sorte le représentant d’une « gauche qui n’existe plus », celle qui se préoccupe des plus humbles.
Enfin, elle aurait dû se renseigner quand elle affirme que son ami est arrivé en même temps que l’électricité.
Je sais bien que la ville du Havre, où j’ai aussi passé mes dix-sept premières années, a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en 1963 les foyers de la ville en étaient bien équipés !
EXTRAIT
– Elle n’a jamais été cruelle. Pour l’être il faut s’intéresser aux autres.
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