Critique – Les pêcheurs – Chigozie Obioma – L’Olivier


Ikenna, Boja, Obembe et Benjamin, le narrateur, sont frères.

Deux autres enfants composent la fratrie de cette famille de la bourgeoisie nigériane où le père, employé à la Banque centrale, est muté à l’autre bout du pays. La mère reste seule pour s’occuper de ses enfants. Et dans cette société patriarcale, la voix de la mère peine à contenir les velléités de briser les interdits de sa progéniture. Et rien de tel que le « mortel » fleuve Omi-Ala pour défier l’autorité parentale. Les enfants y pratiquent la pêche. C’est sur le chemin qu’ils rencontrent Abulu, un fou qui leur adresse une terrible prophétie : Ikenna, l’aîné sera tué par l’un de ses frères. Même prononcée par un vieux toqué, la prédiction va semer le trouble dans la famille.

Drame igbo, du nom de l’ethnie à laquelle appartiennent les frères, « Les pêcheurs » emprunte tous les ressorts de la tragédie grecque dont le fratricide est le fil conducteur comme une allégorie des guerres civiles qui ont déchiré le pays dans les années 1990.

A la fois roman d’apprentissage et peinture du pays le plus peuplé d’Afrique toujours marqué par les superstitions, « Les pêcheurs » est aussi le récit de la vengeance comme moyen de lutter contre le fatalisme.

Chigozie Obioma, qui signe là un premier roman poétique et puissant, est né au Nigeria. Son opus figurait sur la short-list des plus prestigieux prix littéraires.

EXTRAITS

  • A cette époque, le temps ne signifiait rien. Les jours venaient, avec leurs nuages de saison sèche qui planaient dans le ciel empli de bolées de poussières, le soleil qui durait jusqu’à l’orée de la nuit. Et on aurait dit qu’une main dessinait dans le ciel des images brumeuses à la saison des pluies, qui, sans arrêt, pendant six mois, tombaient en déluge palpitant d’orages spasmodiques. Puisque les choses suivaient ce modèle immuable, aucun jour n’était digne d’être gardé en mémoire.
  • Le sol était baigné de sang : un sang vivant et mobile qui cheminait lentement sous le réfrigérateur et – tels les fleuves Niger et Bernue dont la confluence à Lokoja avait engendré une nation brisée et boueuse – se mêlait à l’huile de palme pour former une mare d’un rouge délavé, inconnue et obscène, semblable aux flaques qui se forment dans les nids-de-poule des chemins de terre.

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