Critique – Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson – Gallimard
L’écrivain voyageur Sylvain Tesson a décidé de se poser dans une cabane au bord du lac Baïkal et de vivre comme un ermite pendant six mois de février à juillet 2010. Sa solitude est toute relative : il rend visite à ses « voisins » et inversement, rencontre des « promeneurs » de passage et est accompagné de deux jeunes chiens à partir de la fin du mois d’avril.
Pour vivre au mieux cet exil voulu, il a emporté des livres, de la vodka et des cigares. Les journées se déroulent entre contemplation de la nature qui bascule dans le printemps avec l’impressionnante fonte des glaces et balades par des températures glaciales.
Il note ses faits et gestes, ses impressions et ses pensées sur le monde qu’il a provisoirement quitté, sur ce havre qu’il a trouvé et qui va lui apporter la sérénité.
Sylvain Tesson n’est décidément pas fait pour la vie dans nos sociétés modernes où le mauvais goût domine, où l’homme est obsédé par la maîtrise et l’exploitation de la nature, où notre surconsommation frénétique semble combler le vide de nos existences, où tout va trop vite, incapables que nous sommes de nous arrêter pour profiter du silence et du moment qui s’écoule, où l’hygiénisme entend tout régenter…
A contrario, il savoure le temps qui passe et la beauté de la nature. Et tire une jouissance à exécuter les actes qui peuvent sembler triviaux. Tout en confortant ses idées avec des lectures stimulantes telles que « Robinson Crusoé » de Daniel Defoe ou encore les « Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau.
Entre les obligations du quotidien (couper du bois, se nourrir…), la confrontation aux éléments souvent hostiles et l’observation poétique de son environnement, il revendique même son côté réactionnaire et un brin misanthrope. En revanche, les animaux ont ses faveurs : il nourrit une mésange, il tente le sauvetage un peu vain de papillons, il taxe un ours de « gros lapin » pour déjouer une éventuelle attaque…
Loin de lui l’idée de se prendre pour un héros. « Le courage serait de regarder les choses en face » écrit celui qui se traite de pleutre et de couard.
Après avoir refermé ce journal intime avec un petit pincement au cœur, on se sent en paix. Merci à Sylvain Tesson pour cette belle leçon de vie qui va peut-être la réconcilier avec ses semblables. Lorsqu’on est enchanté par l’apparition d’une mésange, peut-on rester insensible à la souffrance des siens ? Le fait qu’il retourne à son ancienne existence est déjà un signe et la réponse est dans ses écrits qui vont suivre.
EXTRAITS
- Je vais enfin savoir si j’ai une vie intérieure.
- Pourquoi les hommes adorent-ils davantage les chimères abstraites que la beauté des cristaux de neige ?
- Le luxe de l’ermite, c’est la beauté.
- Je suis libre parce que mes jours le sont.
- L’imprévu de l’ermite sont ses pensées. Elles seules rompent le cours des heures identiques. Il faut rêver pour se surprendre.
- Au carreau ce soir, la mésange, mon ange.
- Ah, le plaisir intense de remettre une bête en liberté. Un salut en pensée au commandant Charcot qui ouvrit la cage de sa mouette juste avant de sombrer dans les eaux islandaises.
- L’homme est un enfant capricieux qui croit que la Terre est sa chambre, les bêtes ses jouets, les arbres ses hochets.
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