Critique – Etat de nature – Jean-Baptiste de Froment – Aux Forges de Vulcain

Critique – Etat de nature – Jean-Baptiste de Froment – Aux Forges de Vulcain


Même s’il a (enfin, on l’espère…) forcé le trait, Jean-Baptiste de Froment était bien placé pour accoucher de ce premier roman dans lequel on découvre qu’un normalien, agrégé de philosophie et, surtout, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, pouvait avoir de l’humour et un regard lucide sur le milieu dans lequel il évolue.

révolutionré

Par son analyse un brin parodique des rouages de la politique, « Etat de nature » n’est pas sans rappeler la réjouissante BD « Quai d’Orsay ».

Dès les premières pages, le lecteur entre d’emblée dans le vif du sujet. Il croise à son réveil le glaçant Claude, un haut fonctionnaire conseiller (on dit alors commandeur) de l’ombre de la présidente. Alors qu’il se gargarise, dès le saut du lit, du jargon technocratique qui a rythmé toute sa vie (« arbitrages interministériels », décrets simples », « ratification »…), il se prend à rêver de succéder à celle qu’il sert. « Cette vieille femme qui m’emmerde… » se dit-il.

A des centaines de kilomètres de la capitale, Barbara Vauvert vient d’être nommée préfète de la Douvre intérieure, un territoire oublié de la République surnommé, en raison de la passivité de ses habitants, le « centre mou de la France ».

Soucieuse de dynamiser la région, la charismatique jeune femme qui saisit si bien « l’esprit du temps » se rapproche d’un groupe « de jeunes illuminés », mené par un certain Arthur, qui projette, dans une frénésie post-situationniste à la Julien Coupat, de faire de la Douvre « un vaste « incubateur à ciel ouvert », « le lieu d’expérimentation grandeur nature du monde à venir, à la fois numérique et écologique, enraciné et connecté. ». Son nom : Gaïapolis. En réalité, le dessein de la petite bande est bien de faire table rase du passé.

Mais Arthur le démiurge finit par s’enticher des Douvriens qu’ils voient comme des résistants à l’ordre établi. « Ils n’ont jamais donné leur consentement à ce que les autres ont fait du monde » pense-t-il. Malgré les injonctions de sa compagne Mélusine, une harpie maoïste.

Devenue gênante, Barbara, Jeanne d’Arc des temps modernes, est virée illico presto et remplacée un certain Sébastien Porphyre, clone de Claude en plus brillant, formé à l’école Sapience, avatar de l’ENA, dont les élèves arborent un tatouage de serpent… Stratégie de distinction oblige !

Ebranlée par cette éviction, la population va se révolter, excédée par la verticalité méprisante et la centralisation du pouvoir parisien.

Cette (à peine) uchronie jubilatoire, intelligente et vivement tournée a été publiée en début d’année et elle résonne diablement avec l’actualité la plus récente et le mouvement des gilets jaunes dont le coup d’envoi fut donné en novembre dernier. « Mes chers amis, j’ai coutume de dire qu’un pays comme la France, ça ne se réforme pas. Mais ça peut faire sa révolution, en revanche » constate Claude, poursuivant « A tout moment, (…), les gouvernés peuvent retirer leur consentement (…). L’ordre social est suspendu (…) au caprice de tous ces individus dispersés et qui n’ont pas, pour la plupart, tout leur bon sens ». Quelle prescience !

EXTRAITS

  • Glouglou : en sortant de la bouteille de verre armorié pour s’écouler dans le profond gobelet de cristal, le liquide faisait le même bruit ravissant qu’à sa source, dans ces montagnes suisses défiscalisées qu’Hermine devait fréquenter au moins six mois de l’année, se dit Claude. Loin de la vase des étangs de Chambord.
  • Ah, l’antiterrorisme… (…). Quelle invention merveilleuse. C’est la forme moderne du procès en sorcellerie…
  • S’il y a une chose, décidément, qu’il faut proscrire en politique, ce sont les idées.
  • Comme Marx aurait trouvé plus conforme à sa doctrine et au sens de l’histoire que la Révolution éclatât dans l’Angleterre industrielle plutôt que dans la Russie des moujiks, Arthur aurait préféré que les événements récents fussent moins le fait de péquenots en colère et davantage celui de l’avant-garde écologiste, consciente des enjeux du futur

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