Critique – Franz Kafka ne veut pas mourir – Laurent Seksik – Gallimard

Critique – Franz Kafka ne veut pas mourir – Laurent Seksik – Gallimard


Ceux qui pensaient lire une biographie « classique » de Franz Kafka ont dû être déconcertés par le dernier livre de Laurent Seksik.

En se penchant au chevet de l’auteur de « La Métamorphose », l’écrivain poursuit son exploration du destin des Juifs d’Europe qu’il a entamée avec Albert Einstein et poursuivie avec Stefan Zweig et Romain Gary.

Mort en 1924 de la tuberculose dans sa quarante-et-unième année en disant « Robert, tuez-moi, sinon vous êtes un assassin ! » alors que son ami lui injecte une dose létale de morphine pour soulager à tout jamais sa douleur, Kafka a écrit une œuvre considérable qui ne le satisfaisait pas, à part quelques exceptions. Il demanda à Max Brod d’en détruire une partie. Ce dernier trahit sa promesse en conservant l’intégralité de ses écrits.

Sept mois avant sa disparition se déroulait le putsch manqué de Munich fomenté pas Hitler et ses sbires. Cet échec n’empêchera pas le parti nazi de progresser jusqu’à l’avènement de son chef à la chancellerie en janvier 1933.

Alors qu’elles seront les victimes des événements qui marqueront cette période sombre, trois voix s’élèvent pour témoigner de leur attachement à Franz Kafka, conscientes qu’elles sont de sa modernité, de son humanité, de son intelligence et de sa prescience. Pour elles, Kafka est un être d’exception dont la fragilité physique tranche avec la puissance de son écriture.

– Robert Klopstock rencontra Franz dans un sanatorium trois ans avant son agonie. Apprenti écrivain, le jeune étudiant en médecine découvre un homme entièrement dévoué à son art préférant la solitude à la vie. Il deviendra un médecin réputé spécialiste de la tuberculose. Comme pour venger la mort de son camarade qu’il n’a pas pu sauver.

– Dora Diamant, juive d’origine polonaise, sa dernière compagne et la seule avec laquelle il accepta de vivre.

– Le dernier témoignage est celui d’Ottla, la sœur de Kafka, qui aime son frère d’un « amour plus grand que tous les amours ».

Dans une ambiance très « Mitteleuropa » de Prague à Budapest en passant par Berlin, Laurent Seksik dessine une fresque exaltante mêlant l’intime et la tragédie collective.

Et ceux qui aiment l’humour grinçant que Kafka affectionnait devrait apprécier la lecture d’un interrogatoire de Dora par un fonctionnaire du NKVD, l’ancêtre du KGB.

Un monument d’absurdité qui rappelle étrangement « Le Procès » !

Laurent Seksik souligne aussi la récupération dont Kafka a été la victime silencieuse. La réunion des contributeurs de la « Jüdische Rundschau » est un moment d’anthologie. S’apprêtant à rendre hommage à Kafka, certains s’interrogent sur l’adéquation de son œuvre avec leurs idéaux sionistes alors qu’il n’était nullement un théoricien. Un questionnement d’autant plus incongru que nous sommes en 1934 !

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