Critique – Guerre – Louis-Ferdinand Céline – Gallimard
Soixante ans après sa mort, trois inédits de Céline ont été retrouvés. « Guerre », écrit en 1934, soit deux ans après la publication du « Voyage au bout de la nuit », en est le premier opus.
Tout a peut-être écrit sur la guerre de 1914-1918, cette immense boucherie absurde qui ne régla aucunement la question de la haine entre les peuples puisque, vingt plus tard, éclata le conflit le plus meurtrier de toute l’histoire de l’humanité.
À mon sens, seul Louis-Ferdinand Céline a su saisir, au plus près, et dans son entièreté, toute l’horreur de la « Der des Ders » dont il fut l’un des acteurs. Comme des millions d’hommes qui n’en sortiront pas indemnes.
Tout commence sur un champ de bataille. Ferdinand, le narrateur, est seul. Ses camarades gisent, inertes, victimes des combats. Le survivant est blessé au bras et à l’oreille gauche.
« J’ai attrapé la guerre dans ma tête » écrit-il. Elle ne la quittera plus jamais.
Soigné dans un hôpital, il est bichonné par une certaine Mlle L’Espinasse, modèle de dévouement ou de perversion, c’est selon, qui se dépense sans compter pour adoucir les souffrances de ses protégés. Même les cadavres sont les objets de ses attentions !
Les relations entre le blessé et l’infirmière vont donner lieu à des descriptions très crues auxquelles Céline ne nous avait pas habitués, sauf dans « Mort à crédit ». Pour Ferdinand, le sexe est la preuve qu’il est bien vivant.
Il se lie aussi d’amitié avec un certain Bébert, un maquereau de la pire espèce.
Si « Guerre » n’est qu’un premier jet et que Louis-Ferdinand l’aurait très sûrement peaufiné, il n’en reste pas moins que ce roman plus ou moins autobiographique est de belle facture.
On reconnaît bien le style expressionniste, truculent, inventif, explosif et délirant d’un Céline, plus misanthrope que jamais, dont le double est pris au piège de ses pulsions de vie et de mort.
En devenant un poilu, Ferdinand est entré dans le monde des adultes. Il doit alors faire le deuil de son enfance évanouie…
Et, si on rit beaucoup aux excès de l’auteur, on compatit avec lui, confronté à cette perte et à la douleur provoquée par la guerre à jamais gravée dans son corps et son esprit, l’affliction étant renforcée par l’incompréhension de ceux de l’arrière.
EXTRAITS
- J’ai appris à faire […] de la belle littérature aussi, avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais.
- Même si on n’avait plus que dix minutes à vivre on chercherait encore de l’émoi tendre d’antan.
- Il pouvait jamais plus arriver que du pire.
- C’est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie.
- J’en avais marre […] d’être en pièces de la tête depuis les idées, l’oreille jusqu’au trou du cul, je voulais me réparer d’une manière ou d’une autre.
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