Critique – La disparition de Josef Mengele – Olivier Guez – Grasset

Critique – La disparition de Josef Mengele – Olivier Guez – Grasset


Tout d’abord, j’aime beaucoup l’épigraphe de Czeslaw Milosz : « Toi qui as fait tant de mal à un homme simple En éclatant de rire à la vue de sa souffrance Ne te crois pas sauf Car le poète se souvient. »

Si ce roman est le portrait d’un personnage inqualifiable, il est surtout plus largement le récit de ces nazis qui, dans l’immédiat après-guerre, ont pu vivre en toute impunité avec la complicité des vainqueurs et des vaincus qui ont fermé les yeux. Une attitude amplifiée par le silence des victimes, traumatisées par ce qu’elles avaient vécu…

A la fin des années 1950, avec la traque d’Eichmann par le Mossad, les choses changent et les « chasseurs de nazis » comme Simon Wiesenthal ou les Klarsfeld mènent un combat pour que ces hommes responsables et coupables de la mort de 6 millions de Juifs soient jugés pour leur crimes contre l’humanité. Parfois, la traque vire au grand-guignol. Pour preuve l’arrestation de Lothar Hermann, accusé d’être le bourreau d’Auschwitz, alors qu’il fut accusé d’espionnage par la Gestapo, interné à Dachau et à l’origine de la capture d’Eichmann…

Pendant la seconde guerre mondiale, l’Argentine est officiellement neutre. Elle est en fait « la tête de pont de l’Allemagne nazie en Amérique du Sud ». Avec l’assentiment de Peron à l’origine du coup d’état de 1943. C’est dans ce pays où nombre de ses compatriotes ont trouvé refuge reconstituant « un Quatrième Reich fantôme » qu’il débarque en 1949. Il s’enrichit en commercialisant des machines agricoles fabriquées par l’entreprise familiale située dans sa Bavière natale ! Mais le passé remonte à la surface et la pression policière l’oblige à fuir au Paraguay puis au Brésil.

Le récit de cette cavale fait penser à un roman d’aventures mais l’aventurier dont il est question a commis les pires exactions avec une prédilection pour les expériences sur les jumeaux et les Juifs atteints de malformations. On peut lire sur ce sujet « Médecin à Auschwitz » écrit par Miklos Nyizli, un médecin légiste juif hongrois qui « fut le scalpel de Mengele ».

Alors qu’on lui prête une existence sud-américaine vouée à poursuivre l’œuvre des nazis (cf. le film « Ces garçons qui venaient du Brésil » l’imaginant en démiurge capable d’avoir cloné 94 petits Hitler…), Mengele ne pense qu’à fuir ses justiciers et à survivre comme un lâche qu’il est, devant supporter, à la fin de sa vie, tous les métèques qu’il abhorrait.

Si le roman ne fait pas de cadeau à Mengele, le présentant comme un sociopathe, un pervers narcissique, un être veule ne supportant la médiocrité, incapable d’empathie et de remords, jaloux, une question reste : comment a-t-il sauté le pas ? Parce que « le médecin qui riait à Auschwitz » était « un rouage parmi d’autres ». Glaçant.

EXTRAITS

  • En moto, à vélo et en auto, il circulait parmi les ombres sans visage, infatigable dandy cannibale, bottes, gants, uniforme étincelants, casquette légèrement inclinée.
  • Sur la rampe où l’on triait les Juifs d’Europe, ils étaient ivres mais lui restait sobre et sifflotait quelques mesures de Tosca en souriant.
  • Les chambres à gaz tournaient à plein régime ; Irene et Josef se baignaient dans la Sola. Les SS brûlaient des hommes, des femmes et des enfants vivants dans les fosses ; Irene et Josef ramassaient des myrtilles dont elle faisait des confitures.
  • Il avait eu le courage d’éliminer la maladie en éliminant les malades, le système l’y encourageait, ses lois l’autorisaient, le meurtre était une entreprise d’État.
  • Méfiance, l’homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes.

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