Critique – La Maison – Emma Becker – Flammarion
C’est à reculons que j’ai ouvert « La Maison ». C’est donc tout l’intérêt de participer à un Prix des Lecteurs, en l’occurrence celui de la librairie L’Armitière à Rouen, que de pouvoir découvrir des livres qui, sinon, nous auraient échappé.
A 25 ans, nouvellement installée à Berlin, Emma Becker passe devant un bordel situé « à cheval entre un lieu saint et une école maternelle ». Sa fibre d’écrivain amatrice de Maupassant, de Zola et de Calaferte la décide à pousser les portes de l’établissement pour rejoindre les filles qui pratiquent le plus vieux métier du monde. Elle est en quelque sorte « embedded » comme le furent les journalistes américains chargés de suivre le conflit en Irak.
C’est à la fois en tant qu’actrice et observatrice que Emma devenue Justine va s’imprégner de l’atmosphère de La Maison et de ses occupantes.
Depuis toujours fascinée par le désir que la femme peut provoquer chez l’homme, elle est envoûtée par le lieu et par la bienveillance qui règne entre les filles. Elle ressent même une espèce d’affection pour certains de ses clients à la misère sexuelle souvent pathétique.
Prenant le contrepied du discours sur la prostitution qui avilirait les femmes, Emma Becker avoue avoir été heureuse pendant ces deux années où elle a vendu ses charmes. Elle ne fait pas l’apologie de toutes les formes de prostitution (elle dépeint un bordel nommé Le Manège, lieu glauque tenu par un mafieux albanais, tout l’inverse de La Maison où les filles seraient considérées dignement) mais de celle qui résulte d’un choix, d’un désir de donner du plaisir tout en gagnant sa vie. Les putes seraient les femmes les plus libres du monde selon Emma Becker. Elles seraient de véritables personnages de fiction, capables de changer d’identité, de s’inventer des personnages et de renverser les habituels rapports de domination-soumission entre les hommes et les femmes.
Si je ne souscris pas à cette vision quasi idyllique, je respecte le point de vue de l’auteure qui ne mérite pas les cris d’orfraie des féministes et des bien-pensants. C’est son point de vue et elle le défend avec sa très jolie plume (Jérôme Garcin parle de « littérature pure ») alternant descriptions crues, moments tendres empreints de poésie et réflexions sur ce qu’est une prostituée. Et son sens de l’humour et de l’autodérision permet de dégoupiller le caractère sordide de certaines situations.
EXTRAITS
- Je suis surtout préoccupée par la façon d’expliquer l’âme de cet endroit, cette tendresse flottante qui rendait le mauvais goût splendide.
- Dans cette carapace vide que sont les putes, ces quelques carrés de peau loués à merci, auxquels on ne demande pas d’avoir un sens, il y a une vérité hurlant plus fort que chez n’importe quelle femme qu’on n’achète pas. Il y a une vérité dans la pute, dans sa fonction, dans cette tentative vaine de transformer un être humain en commodité, qui contient les paramètres les plus essentiels de cette humanité.
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