Critique – La petite femelle – Philippe Jaenada
Il faut sacrément l’aimer Pauline Dubuisson pour lui consacrer des heures de recherche et d’écriture et accoucher d’une somme de plus de 700 pages.
Il faut drôlement les chérir toutes ces femmes qui ont occis leurs amants, leurs maris ou, pire, leur enfant, pour les défendre contre une société qui les a broyées avant même de les juger. Il faut tout simplement être Philippe Jaenada, avec son sens de l’empathie sans pathos et son humour ravageur (parfois un peu lourdingue si je peux me permettre) pour tenir le lecteur en haleine tout au long du récit.
Pauline est née en 1927 à Malo-les-Bains, le quartier résidentiel de Dunkerque. Issue de la bonne bourgeoisie locale, elle est la préférée de son père qui l’éduque comme un garçon, lui inculquant les préceptes, mal compris, de Nietzsche (vive le suicide quand on a raté sa vie !). Quant à sa mère, elle vit dans « un isolement déprimo-religieux ». Très précoce, elle envisage de devenir médecin à une époque où la femme était cantonnée à une fonction de génitrice et de « gardienne du foyer ». Ce sont les bombardements destructeurs de sa ville qui ont forgé cette vocation. Pendant le second conflit mondial, elle travaille même à l’hôpital où elle succombe aux charmes d’un chirurgien allemand. Auparavant, elle avait perdu sa virginité dans le lit de l’ennemi. A l’âge de 13 ans ! Elle était décidément fort mature dans tous les domaines ! Pendant ce temps, son père collabore allégrement avec l’occupant…
Au cours de ses études, elle rencontre un certain Félix Bailly, un garçon falot qui tombe fou amoureux d’elle et la presse de l’épouser. Pauline tergiverse et Félix découvre que sa dulcinée a été tondue à la Libération. Par des résistants de la dernière heure, rappelons-le. On connaît la suite. Rappelons, comme le cite Jaenada, que Brassens écrivit : « Les braves sans-culottes et les bonnets phrygiens ont livré sa crinière à un tondeur de chiens ».
Dans « La petite femelle », l’auteur s’attache à comprendre comment les policiers, les juges et les commentateurs de l’époque ont écrit l’histoire de la meurtrière en manipulant la réalité et la vérité et comment ils ont fait porter à Pauline, en bons misogynes, la responsabilité de la traîtrise de son père alors qu’elle n’était qu’une adolescente en 1940. Notre auteur en profite pour » déconstruire la construction » du personnage de « l’amanticide ».
Tombeau littéraire, le dernier roman de Jaenada est la réhabilitation d’une femme libre et indépendante qui, si elle a commis le pire, n’en resta pas moins humaine.
A lire aussi sur Pauline Dubuisson le magnifique « Je vous écris dans le noir » de Jean-Luc Seigle.
EXTRAIT
D’ailleurs, l’auteur de l’enquête sociale écrira cette phrase magnifique : » Elle aimait aussi beaucoup la musique classique, ce qui ne l’empêchait pas de faire admirablement bien la cuisine, de confectionner des robes et d’arranger son intérieur avec beaucoup de goût. » Une merveille. |
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