Critique – La révolte – Clara Dupont-Monod – Stock
« Car c’est d’une voix douce, pleine de menaces, que ma mère ordonne d’aller renverser notre père ». C’est par ces mots que s’ouvre le dernier roman de Clara Dupont-Monod.
Avec Aliénor d’Aquitaine et son fils Richard Coeur de Lion, elle a trouvé deux personnages réels dignes d’être transposés dans l’univers de la fiction où, par définition, on peut tout se permettre. « On pourrait s’amuser à répertorier ce qui relève de l’imagination ou de la vérité. L’essentiel étant qu’on aurait tort d’opposer la mécanique du roman et celle de l’historien, tant les deux sont complémentaires » écrit la spécialiste d’ancien français dans « Note de l’auteur ». La phrase « Relève ce qui est détruit, conserve ce qui est debout » répétée comme un mantra, est une pure invention. Mais elle souligne bien l’esprit dans lequel Aliénor transmet ses convictions à son fils préféré qui assiste au combat de « deux monstres prêts à s’entre-tuer ». « La plus belle et la plus riche fleur d’Aquitaine, la perle incomparable du Midi » n’est pas, loin de là, une femme faible. Elle éprouve une haine froide envers ce mari qui la dépossède de son cher duché, l’emprisonne pendant de longues années et la trompe sans vergogne avec Rosemonde Clifford alors qu’elle « subit » la mort de son aîné à l’âge de trois ans, la trahison de Jean et la lâcheté du roi de France Louis VII, son premier époux. Ce personnage libre et fort n’aura de cesse de se venger du roi d’Angleterre et Richard sera le bras armé de cette vendetta médiévale alors que, paradoxalement, dans ses fureurs, il ressemble au « Plantagenêt », cet « elfe vociférant ». C’est par amour pour Aliénor qu’il va batailler alors qu’il ne rêve qu’à construire Château-Gaillard, son « navire de pierre ».
Dans une écriture qui, même dans les scènes les plus sanguinolentes dignes de « La Religion » de Tim Willocks, reste élégante, poétique, tout en nuances, somptueuse et enchanteresse, Clara Dupont-Monod dessine le portrait d’une femme intransigeante et complexe, à la fois impitoyable et protectrice des artistes (son grand-père adoré Guillaume IX d’Aquitaine fut l’un des chantres de l’amour courtois), à la fois profondément religieuse mais se moquant d’un clergé misogyne.
Avec son immense talent de conteuse, l’auteure de « La Passion selon Juette », qui se déroulait aussi au 12ème siècle, nous fait vivre le Moyen-Age comme si on y était et prêche, en évoquant Saladin, pour la tolérance entre les religions et la reconnaissance de l’apport des cultures arabes. « L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme » écrivait Victor Hugo…
EXTRAITS
- Berceau où tu es né, Richard. Mais terre sans âme, de pluie et de misère. Personne ne sait lire là-bas. (à propos de l’Angleterre)
- Les grands rêveurs sont les êtres les plus durs que je connaisse.
- Relève ce qui est détruit, conserve ce qui est debout.
- Je pense à Aliénor, à Mathilde, à ces femmes en forme d’étoile, blanche et lointaine. Monte en moi une plainte immense, et je ne sais plus si c’est celle des mères en danger, des enfants seuls ou des guerres sans amour.
- La mémoire vient à bout du regret, car, au fond, le chagrin d’une chose disparue est moins fort que son souvenir.
- Le petit corps pâle de Guillaume, au visage de fumée, ouvre la marche, la main dans celle de Mathilde. Mes âmes perdues ne protestent pas quand surgit ma fureur. Ce même souffle mauvais qui me pousse à voler des faucons aux paysans italiens, attaquer un couvent grec et déloger les moines, trousser des marchands et enfin pousser mes hommes à piller les faubourgs de Messine.
- Voila, Richard, pourquoi j’estime la foi et déteste la religion. La première grandit l’homme, la seconde l’affole.
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