Critique – Le Mal joli – Emma Becker – Albin Michel

Critique – Le Mal joli – Emma Becker – Albin Michel


Emma Becker a fait de ses histoires de fesses son fonds de commerce. Mais pour appréhender sa démarche d’écrivaine dans toute sa profondeur, il ne faut pas s’arrêter aux scènes particulièrement crues qui essaiment son dernier roman.

Car c’est avant tout du sentiment amoureux dans sa version passionnelle et de la condition de la femme empêchée de vivre pleinement son histoire parce qu’elle est mariée et mère de deux enfants qu’il nous parle.

C’est au printemps, saison de la renaissance, que tout commence dans une soirée de remise de prix dont le Tout-Paris littéraire se délecte. Si l’événement se conclut comme d’habitude avec « peau de zob » pour Emma, elle se cogne à un « écrivain au visage familier » qu’elle trouve mignon comme elle le confie à son attachée de presse.

L’attirance est réciproque et rapidement consommée. Elle est au début purement physique, ces deux-là étant totalement opposés.

Antonin de Quincy d’Avricourt (pseudonyme derrière lequel se cacherait Nicolas d’Estienne d’Orves) est du genre réac. Emma le décrit comme une « créature à chevalière qui baise en écoutant du Wagner » entourée de livres de Robert Brasillach, de Benoist-Méchin et de Paul Morand, ayant droit de Lucien Rebatet dont il a encadré les lettres…

L’ironie qu’elle pratique à l’égard de sa nouvelle conquête va se tarir, car elle en pince de plus en plus pour le bellâtre aux boutons de manchette et à la chevalière ostensible. « Je n’allais quand même pas tomber amoureuse d’un connard de droite ! » s’exclame-t-elle. Eh bien oui ! Même si elle est consciente de la dissonance de leurs origines, elle n’entend pas écrire un roman sociologique bourdieusien.

Possédée par le presque quinquagénaire avec lequel elle partage non seulement des séances de jambes en l’air fougueuses mais aussi des parties de fous rires débridées, elle multiplie les allers et retours entre sa maison du Var et la capitale, délaissant sa famille à laquelle elle ment pour jouir quelques heures de son amant, en couple lui aussi.

Comme elle le rappelle pertinemment, car c’est là le cœur de sa démarche littéraire, son idée est de composer « une sorte de Fragments d’un discours amoureux » pour « décrire les étapes de la passion » sans occulter la part de souffrance qu’elle contient.

Sauf qu’Emma n’a rien d’une héroïne romantique qui attend, le mouchoir à la main, que l’objet de son cœur l’emporte sur son cheval blanc. Très lucide sur les affres de la passion amoureuse qui la rend folle et obsessionnelle, elle décrit avec un grand réalisme la vie d’une trentenaire quasi écartelée entre son quotidien de mère et d’épouse, son métier d’écrivaine et la frénésie presque fanatique qu’elle vit avec Antonin.

Le tout avec humour, un sens de l’autodérision et une sincérité émouvante et désarmante.

EXTRAITS

  • La passion, c’est un empoisonnement du cerveau.
  • Un monde où l’odeur de l’amour fou ne vous parvient qu’à travers la puanteur des emmerdements et des couches à changer.
  • J’ai renoncé à tout pour n’être qu’un frisson, et on ne peut pas vivre avec un frisson en permanence.
  • Peut-être que je suis une esclave. Mais je pense qu’il suffit que je sois.
  • C’est ça être heureux, c’est ça regarder au loin, c’est aimer tout ce qui n’est pas lui, grâce à lui.

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