Critique – Microvoyage – Rémy Oudghiri – PUF
Ce n’est pas pour des raisons écologiques et dans un souci de diminuer son empreinte carbone que Rémy Oudghiri ne s’adonne pas aux expéditions lointaines.
À rebours des consommateurs frénétiques de destinations plus ou moins exotiques qui établissent des listes de pays à visiter et qui rayent ledit lieu une fois la visite effectuée pour passer à un autre projet, le sociologue prône la pratique du microvoyage qui consiste à se balader plus ou moins au hasard à proximité de son domicile.
Cet engouement pour le périple version miniature remonte à son enfance passée à Casablanca.
C’est désormais de l’Île-de-France où il réside qu’il entreprend ses promenades, le plus souvent en solitaire.
Pas une semaine ne se passe sans qu’il arpente, loin des monuments envahis par le surtourisme, un coin de banlieue où se dévoile « un splendide figuier » niché dans une cour de l’a priori peu avenante commune de Cachan.
Son approche n’est pas seulement l’occasion de s’offrir une bouffée d’oxygène loin du bouillonnement de la capitale, mais aussi et surtout une expérience quasiment existentielle permettant d’atteindre un « état second »..
Pour exprimer ce qu’il ressent, il convoque des auteurs eux aussi amateurs de ces brèves aventures : Baudelaire, cet esthète du quotidien fasciné « par la beauté humble et pittoresque » et par les « éclopés de la vie » qui hantaient les rues de Paris ; Virginia Woolf, adepte de l’errance ; Aragon et son « Paysan de Paris » ; Peter Handke, laudateur de la banlieue, qui écrit : « c’est un bonheur de ne plus sentir l’Histoire » ; Julien Gracq et Nantes ; Philippe Jacottet et « son attirance pour les choses simples » ; Henri Calet qui se penche sur les 19e et 20e arrondissements ; Éric Hazan qui retrouve à Barbès et à la Goutte-d’or « l’atmosphère d’une ville arabe » ; le situationniste Guy Debord et sa « Théorie de la dérive » qui théorise la « psychogéographie ; Jean Rolin, « l’anti-touriste » par excellence ; Et puis, il y a aussi le cinéma de Tati, et son souci du détail, du second plan, qui l’enchante ou encore les dessins de Sempé si habile à saisir la « grâce du quotidien ».
Si j’ai apprécié la démarche de l’auteur que je pratique à l’occasion, j’ai trouvé que son propos était un peu redondant.
J’ai regretté aussi que ses vagabondages soient, si on excepte les références à Rousseau et ses « Rêveries d’un promeneur solitaire » pour lequel « la source du vrai bonheur est en nous », ou encore Giono, zélateur de « sa terre provençale » et pourfendeur de l’exotisme qu’il considérait comme une illusion, presque exclusivement urbaines.
Enfin, j’ai bien peur que peu de personnes soient non seulement capables, mais aussi prêtes, à faire des pas de côté ce qui suppose de la curiosité ; de l’attrait pour l’insignifiant, l’inutile ; d’accepter de revenir à l’enfance ; de se mettre dans la peau d’un poète ; « de découvrir de la beauté en toute chose »
Bref, cet état d’esprit n’est pas donné à tout le monde.
Essayons tout de même pour que ce rapport au monde soit aussi une rencontre avec soi-même dans un processus de fusion avec le « grand Tout ».
N’hésitons pas à oublier notre « petit moi social ».
Pour ce faire, Rémy Oudghiri élabore, en toute fin d’ouvrage, un « manifeste du microvoyage » qui se décline en six préceptes : le dépaysement qui adhère à la citation de Lao-Tseu : « plus on va loin, moins on connaît », la beauté qui fait sienne la formule d’Oscar Wilde : « la beauté est dans les yeux de celui qui regarde » et qui enjoint les spectateurs à « retrouver le regard d’un enfant », la sobriété car, comme l’écrivait René Char, « aller me suffit », l’apprentissage, la poésie et le bonheur.
EXTRAITS
- Le microvoyage est au voyage ce que le haïku est à la poésie.
- À quel point la vie en miniature permettait d’exprimer la quintessence des êtres.
- La poésie est notre façon privilégiée d’entrer en relation avec le monde.
- Le microvoyage est essentiel […], il constitue un authentique art du bonheur.
- L’absence de grandiose, voilà la clef. […] Tout était à voir, à égalité.
- Dans un endroit dépourvu d’histoire officielle, tout est à découvrir par soi-même, sans l’aide de références.
- Prendre ou lire un guide, c’est courir le risque de ne pas voir.
- En m’ouvrant au monde, je m’ouvre à moi-même et je deviens moi-même.
- Savoir s’oublier soi-même et […] être attentif à ce qui nous entoure.
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