Critique – Proust, roman familial – Laure Murat – Robert Laffont
À la question un livre peut-il sauver, Laure Murat répond oui.
C’est en se plongeant dans les sept volumes de « La Recherche » de Marcel Proust que l’historienne a compris le fonctionnement de son milieu d’origine pour mieux s’en extraire. C’est grâce à cette lecture qu’elle découvre que la société qui y est décrite correspond à celle qu’elle a connue.
Née d’un père descendant de la noblesse d’Empire et d’une mère issue des Luynes, grande lignée de la noblesse d’Ancien Régime, Laure Murat grandit dans un milieu où non seulement les règles de politesse s’imposent mais aussi un « savoir-vivre » difficile a définir car « ce qui se transmet vraiment ne s’enseigne pas ».
La devise de la Reine Victoria reprise par Elizabeth II « Never complain, never explain » colle parfaitement à cet état d’esprit.
Il faut savoir se tenir à tout prix et surtout « s’abstenir de penser ».
Laure Murat enfonce le clou en soulignant que « les aristocrates se piquent d’être littéraires parce qu’ils parlent bien […], même s’ils n’ont rien à dire ».
Si on gratte « la couche superficielle et brillante », c’est le néant qui se dévoile. L’attention portée à la forme et aux apparences a pour objectif de convaincre les autres de la légitimité des aristocrates « comme si la Révolution française n’avait jamais eu lieu ».
Ce constat est en contradiction avec la perte d’influence de la noblesse au sortir de la guerre de 1914-1918 si bien décrite par Proust.
« Cette élite […] n’a plus rien aujourd’hui à offrir que des titres désuets et un blason qui s’étiole » écrit l’autrice qui décrit avec un humour distancié et une grande intelligence son parcours personnel : une enfance illuminée par une nurse qui lui apporte la tendresse que sa mère lui refuse ; une scolarité médiocre et agitée ; une domesticité pléthorique obligée d’user des titres Prince et Princesse pour s’adresser à ses parents ; une adolescence au cours de laquelle elle est persuadée que les personnages de « La Recherche » dont elle a entendu parler sont bien vrais et font partie de sa famille.
Réels, trop réels, tellement réels qu’elle trouve dans la somme proustienne des ascendants !
Ce n’est qu’à vingt ans qu’elle se décide à affronter l’Everest littéraire. Histoire de « relire le réel sous un autre jour ».
Cette expérience vertigineuse fut un choc : « la forme proustienne donnait du sens à la vacuité de la forme aristocratique ».
Cette aristocratie, Proust s’en moque avec délectation en mettant en relief son mauvais goût, sa vulgarité, son égoïsme, sa bêtise, son snobisme, son ridicule…
Un exemple de ses sarcasmes : la duchesse de Guermantes, modèle d’élégance et d’humour dans un premier temps, « précipitée du sommet proustien pour s’écraser au sol dans son absence de jugement esthétique, son inconsistance, sa méchanceté ».
En déshabillant la noblesse, Proust a délivré Laure Murat de son milieu. Le second bouleversement concerne l’homosexualité qu’il
est le premier à avoir pris « au sérieux » déclenchant le « coming out » de l’écrivaine, la rupture définitive avec sa famille, un rejet du passé, un bannissement de l’immobilisme, une ouverture au réel et une libération salvatrice.
EXTRAITS
- « On ne pleure pas comme une domestique » répétait mon arrière-grand-mère.
- Ce roman total me suit partout depuis trente ans.
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