Critique – Un certain M. Piekielny – François-Henri Désérable – Gallimard
Il y a trois personnages dans le dernier roman de François-Henri Désérable : lui-même avec lequel il n’est pas toujours tendre, Romain Gary (décidément une source d’inspiration pour les écrivains, cf. « Romain Gary s’en va-t-en guerre » de Laurent Seksik) et M. Piekielny, « la gentille souris de Wilno » qui apparaît dans le chapitre VII de « La promesse de l’aube », un livre qui a marqué le narrateur alors qu’il préparait le bac de français. Dans cette histoire, Gary écrit que le petit homme lui a dit, alors qu’il n’était qu’un enfant : « Quand tu rencontreras de grands personnages (…), promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… ». Ce serment, Gary l’a tenu.
Mais c’est en se rendant par hasard à Wilnius que le narrateur va être frappé à retardement par cette anecdote. Un choc qui va le pousser à poursuivre une quête obsédante à la recherche de M. Piekielny.
En faisant revivre, dans un roman, un personnage de roman, l’auteur adopte un angle plutôt insolite qui lui permet de souligner la puissance de la littérature qui entretient le souvenir des morts et la confusion entre la vérité et le mensonge, celui-ci n’étant qu’une « variation subjective de la vérité ». L’imposture, ce fut la marque de fabrique de Romain Gary dont la vie fut celle d’un personnage de roman.
Par rapport à « Tu montreras ma tête au peuple » publié en 2013, l’écriture très léchée de François-Henri Désérable qui use du délicieux passé simple a gagné en souffle et en émotion.
On dit que la littérature ne sert à rien ou à pas grand-chose, « mais au moins sert-elle à cela : à ce qu’un jeune Français égaré dans Vilnius prononce à voix haute le nom d’un petit homme enseveli dans une fosse ou brûlé dans un four, soixante-dix ans plus tôt, une souris triste à la peau écarlate, trouée de balles ou partie en fumée, mais que ni les nazis ni le temp n’ont réussi à faire complètement disparaître, parce qu’un écrivain l’a exhumée de l’oubli ». Et c’est déjà beaucoup.
EXTRAITS
- La mémoire est despotique, mouvante et sélective, elle trie arbitrairement, selon son bon plaisir. (…) Je n’avais pas oublié le chapitre de la Promesse. Ni bien sûr le nom de M. Piekielny.
- Je ne sais si je crois en Dieu ou au hasard – et qu’est-ce que le hasard, sinon le Dieu des incroyants ?
- Vilnius étaient l’anti-Venise. Le temps y avait opéré selon des modalités différentes, avec des conséquences opposées : d’un côté – Venise – la cristallisation du passé, et de l’autre – Vilnius – son anéantissement pur et simple.
- J’avais l’âge d’un jeune homme et la gravité d’un vieil érudit : un mirliflore doublé d’un barbon, voilà ce que j’étais devenu.
- Il y avait là, par milliers, ces objets inexplorés et vaguement menaçants qu’on appelle des livres. J’en pris un au hasard et soudain, descendu de cheval, j’allais le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d’écurie tenait par les rênes, allais dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allais et souriais, étrange et princier, sûr d’une victoire. En cinq jours de pure exaltation je lus Belle du Seigneur, et dès lors je vécus entouré de livres.
- Les nazis ont détruit le peuple juif, et les Soviets le patrimoine. Résultat, dit Dalija, il ne reste plus rien.
- Ma mère était de la dynastie des Mina, il fallait que le front de son fils fût ceint de lauriers pour qu’elle pût enfin s’en coiffer à son tour. Mais là où Romain s’était mis à écrire pour la sienne, c’est à la fois grâce à la mienne et contre elle que je suis devenu écrivain.
- Il se pouvait tout à fait que la fiction débordant du champ littéraire empiétât sur le réel pour se confondre avec lui.
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