Critique – Maudits – Joyce Carol Oates

Critique – Maudits – Joyce Carol Oates


Difficile de résumer en quelques lignes ce pavé de plus de 800 pages tant il est foisonnant et profond. Il aura fallu une trentaine d’années à l’auteur pour peaufiner son texte et quelques heures au lecteur pour le déguster. Stephen King parle à son propos de « roman gothique ». C’est une assez bonne définition mais « Maudits » va bien au-delà car le contexte historique – le début du 20ème siècle aux États-Unis – dans lequel il s’ancre a toute son importance.

Nous sommes en 1905 à Princeton, bourgade paisible du New Jersey peuplée de représentants de la bonne bourgeoisie WASP et réputée pour son université.

Annabel Slade, la petite-fille du respecté révérend Winslow Slade, est enlevée le jour de son mariage par un mystérieux personnage que d’aucuns appelleront le « démon des ombres » ou encore le Diable.

La malédiction de Crosswicks est en marche. Des femmes sont assassinées, d’autres deviennent hystériques. Des hommes, jusque-là époux modèles, se transforment en êtres dépravés.

En arrière-plan de ce milieu bien-pensant qui évolue en vase clos, on croise, entre autres, la figure d’Upton Sinclair, l’écrivain socialiste qui s’ingéniât à détruire ce monde qu’il pensait révolu.

Maniant l’art de la métaphore à la perfection, Joyce Carol Oates, qui mérite plus que jamais le Prix Nobel de littérature, propose une dénonciation en règle du puritanisme, de l’hypocrisie des relations sociales, du racisme, de l’exploitation ouvrière, du goût pour le pouvoir et pour l’argent, du machisme ordinaire qui fait que les deux sexes vivent dans des mondes que tout oppose…

Quand la religion est détournée au profit d’une minorité qui érige ses principes vengeurs en système de pensée, l’humanité est perdue. A la littérature de la purifier ou de tenter de le faire.

EXTRAITS

  • « Mais comment se fait-il que frères et sœurs ne soient pas encouragés à vivre ensemble ? (…). C’est pour cela que je me demande pourquoi il faut que nous épousions des inconnus… » (p. 168).
  • « De la même façon, les chrétiens sudistes avaient soutenu que les esclaves noirs n’étaient pas sensibles à la douleur comme l’étaient les Blancs » (p. 202).
  • « C’est curieux, n’est-ce pas, un homme qui se marie doit feindre de n’avoir aucune « expérience » – une femme qui se marie n’en a absolument aucune – dans notre milieu, du moins. Et rien ne doit être dit tout haut. » (p. 293).
  • « Nos vies ne peuvent être interprétées que rétrospectivement, et pourtant il nous faut les vivre au jour le jour, en aveugles. Quelle folie que la condition humaine ! » (p. 362).
  • « Car la Femme qui a reçu de la Nature un fardeau bien plus lourd que celui de l’Homme – à savoir la propagation -, doit être jugée avec tolérance et indulgence dans les domaines où, sans qu’il y aille de sa volonté, elle a un très grand retard sur l’homme. » (p. 416).
  • « Les vérités de la fiction résident dans la métaphore, mais la métaphore naît ici de l’Histoire. » (p. 811).

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