Critique – Saharienne Indigo – Tierno Monénembo – Seuil
En premier lieu, merci à Babelio et aux Editions du Seuil pour cette lecture entre la Guinée et Paris.
Voix puissante de la littérature francophone d’origine africaine (cf. en particulier « Le terroriste noir », magnifique portrait d’un tirailleur sénégalais) , le Guinéen Tierno Monénembo s’est glissé dans la peau d’une femme pour composer son quatorzième roman.
C’est du côté de la rue Mouffetard dans le 5ème arrondissement de Paris que commence, de manière un peu sibylline, « Saharienne Indigo ».
La narratrice Véronique Bangoura pousse un fauteuil roulant dans lequel gît un homme tout en invectivant une certaine madame Corre qu’elle prend pour une diseuse de bonne aventure. Celle-ci lui enjoint d’écrire un livre car, ayant vécu en Guinée pour des raisons que je préfère ne pas divulguer, elle veut soulager sa détresse. Des confessions croisées et des destins parallèles des deux femmes naîtra une belle amitié.
Sur plus de trois cents pages, nous allons démêler avec la conteuse les fils de son passé et de ses secrets.
Du jour où, à quinze ans, elle s’échappe de la maison de son enfance après avoir occis son père qui venait de la violer. Celle dont le vrai nom est Néné Fatou Oularé alias Atou croise sur le chemin de sa fuite une fille de son âge et sa tante. Elles seront sa famille de cœur et sa protectrice.
En suivant Atou-Véronique dans ses pérégrinations semées d’obstacles comme dans un conte, c’est toute l’histoire récente de la Guinée qui se dévoile avec en point de mire le régime sanguinaire de Sékou Touré et son Camp B de sinistre mémoire.
Par la grâce d’une écriture sensorielle qui fait la part belle aux odeurs et aux couleurs, d’une plume fébrile qui donne parfois le vertige et d’une construction chaotique pour mieux souligner le désordre de l’existence d’une héroïne persuadée qu’elle est faite pour le malheur, Tierno Monénembo nous offre un récit salvateur sur la mémoire et sur la nécessité de dompter le passé pour apaiser la souffrance et la colère, renouer avec son identité et exalter la vie.
EXTRAITS
- La vie est le seul livre où tout est écrit.
- Il faut croire que c’est l’Homme et non le bon Dieu qui a inventé la pénitence : vivre et passer sa vie à se le reprocher, inventer la drogue et coffrer les toxicomanes, cultiver la vigne et honnir les alcooliques.
- Il est là, ce truc que l’on appelle « bonheur », là à portée de main, gratuit pour tous. Pourquoi personne n’arrive à le capter ?
- Ce n’est pas la mémoire qui nous guérira mais la drogue dure de l’amnésie, la fin de la fin, le lit douillet du néant.
- La seule question qui vaille : comment concilier le sexe, l’alcool et la foi ?
- Ils ont fait de cette Terre un immense camp de concentration.
- C’est toujours d’un léger décalage, d’un infime contretemps que naissent les tragédies.
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