Critique – L’Imposteur – Javier Cercas – Actes Sud
Mi-juin 2005, un jeune historien révèle l’énorme supercherie dont le célébrissime Enric Marco fut l’auteur pendant plus de trente ans.
Symbole de la lutte contre le franquisme qui lui offrit les lettres de noblesse pour diriger le mouvement anarcho-syndicaliste alors qu’il s’accommoda, comme la grande majorité des Espagnols, de la dictature, l’homme atteignit l’acmé de la mystification en s’inventant un passé de déporté dans un camp nazi.
En écrivant sur Marco, c’est sur son pays que l’auteur écrit car Javier Cercas aime à puiser dans l’histoire de l’Espagne pour composer ses livres. Pourtant, il a mis du temps à se décider à s’emparer de l’usurpateur.
Après moult atermoiements autour de la légitimité de son projet, il se décide à sauter le pas pour tenter de comprendre le cheminement qui a conduit Marco à berner le monde entier.
« Comprendre […] ne veut pas dire pardonner » écrit-il en justifiant son intention de saisir « toute la confuse diversité du réel, depuis ce qu’il y a de plus noble jusqu’au plus abject ».
En se « servant » de Marco, Cercas s’interroge sur la fonction de l’écrivain et sur le rôle de la littérature ce qui l’amène à considérer que le romancier est un fabulateur car, « pour arriver à la vérité, il faut mentir ». Comme son objet d’étude, il est un imposteur mais la différence est qu’il en a le droit parce que c’est en quelque sorte sa mission. À l’instar de Cervantes qui a transformé Alonso Quijano en un personnage, Don Quichotte, un idéaliste avide d’héroïsme.
Tout en alimentant le récit de considérations sur son rôle comme inventeur de fictions et donc un peu imposteur, Cercas confronte la biographie réelle de Marco à celle qu’il a imaginée, réfléchit aux conséquences des mensonges proférés et cherche à saisir les raisons de cette tromperie.
En affirmant qu’il fut une victime du nazisme, il a non seulement manqué de respect pour les vrais persécutés et favorisé les théories négationnistes. Et Marco de rétorquer que, grâce à ses talents d’orateur et son charisme, il est parvenu à sensibiliser les jeunes générations à l’horreur de la Shoah. De même, en se présentant comme un combattant antifranquiste, il se targue de « raviver la mémoire historique de ce pays amnésique ». Quitte à en faire un business, non par appât du gain mais par une sorte de nécessité de s’inventer une vie plus belle que la sienne, plus belle que celle de la plupart de ses compatriotes.
Pourquoi ? Tout simplement par envie d’être aimé, une nécessité pour celui qui est né dans un asiles d’aliénés d’une mère folle, dont le père « n’était pas un homme affectueux » et dont les premières années furent marquées par les coups de sa marâtre.
Alors, Marco n’est-il qu’un charlatan, n’est-il pas surtout un homme qui a été privé d’affection pendant son enfance et menti pour plaire et être admiré ?
La réalité est décidément complexe et l’intelligence de l’écrivain espagnol est de l’avoir mis en évidence avec brio mais aussi avec une humilité remarquable parce qu’il procède par tâtonnements, questionnements et sans certitude.
Dommage que le récit souffre de quelques longueurs et de répétitions qui frisent le radotage.
EXTRAITS
- La réalité tue, la fiction sauve.
- Le passé n’est qu’une dimension du présent.
- Marco a fait un roman de sa vie.
- Entre la vérité et la vie, ils choisissent la vie.
- Ce pays a fait la réconciliation sur fond d’oubli.
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