Critique – La Chaise – Jean-Louis Ezine – Gallimard

Critique – La Chaise – Jean-Louis Ezine – Gallimard


Dans le magnifique « Les Taiseux » (2009), Jean-Louis Ezine nous racontait son enfance auprès d’un parâtre violent dont il porte le nom à défaut d’arborer celui de son géniteur qu’il rêvait aviateur.

Il n’a qu’un point commun avec l’auteur de ses jours : celui d’être né d’un père inconnu, caractéristique de tous les mâles de cette « famille » un peu spéciale depuis des générations.

Dans « La Chaise », il évoque par bribes son enfance : les séjours de sa mère en hôpital psychiatrique et de son beau-père en maison d’arrêt ; le réconfort qu’il trouvait auprès de Thérèse, celle qui fut béatifiée après avoir réalisé des miracles, celle qui mourut à Lisieux à quelques encablures de Cabourg où est il né ; son attirance pour la philosophie pour se « cacher de l’existence ».

Devenu adulte et assistant à l’enterrement de sa mère qui s’est suicidée en se plongeant dans un étang du côté de Saint-Lô épuisée par la honte, les humiliations, les mensonges et les rêves avortés, tout ce sur quoi il s’est construit, c’est-à-dire le néant d’une filiation, s’effondre. Une femme présente aux obsèques lui glisse en effet : « Je suis Marcelle, Marcelle Caby. Je suis la sœur de votre maman. »

Commence alors pour le narrateur une quête frénétique de ses origines qui lui offre enfin une famille, une famille plus ou moins disparue et marquée par la guerre comme le fut la Normandie aux blessures toujours visibles.

Flanqué de Sarlabot, son double romancier qui porte le nom d’une race de vache aujourd’hui éteinte dont la particularité était d’être décornée, et de son violoncelle dont il a commencé la pratique à la cinquantaine bien tassée, Jean-Louis Ezine part rendre hommage à ses morts en orchestrant des « concerts d’outre-tombe ».

Dans une écriture élégamment désuète, l’écrivain use de digressions savoureuses qui sont autant d’odes à la musique, à la littérature et à la philosophie.

Le « bâtard », comme il se qualifie, manie aussi un sens de l’autodérision et un humour qui, comme chacun le sait, est « la politesse du désespoir », le désespoir d’un homme bien attachant qui a précieusement conservé la pureté de l’enfance, une enfance qui fut malheureuse mais que le pudique qu’il est ne qualifie jamais ainsi.

EXTRAITS

  • J’étais si bas de condition que je n’avais de secours que dans le Tout-Puissant.
  • L’homme est un mammifère verbivore.
  • Le destin, qui n’est jamais que le nom que prend le hasard une fois qu’il s’est produit.
  • Je courais aux idées pures pour me cacher de l’existence, pour me garder des aléas, fermer la porte à l’imprévisible.
  • C’est une aventure de vivre, et je haïssais l’aventure.
  • Orphelin de vocation, neveu posthume, vieil enfant sans âge, est-ce que je passerais ma vie à poursuivre des fantômes ?
  • Il me suffit de savoir être en route, puisque je vis et qu’au bout je vais mourir.

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