
Critique – Le Fou de Dieu au bout du monde – Javier Cercas – Actes Sud
Lorsque Lorenzo Fazzini, responsable de la maison d’édition du Saint-Siège, le contacte pour lui proposer de participer au voyage du pape en Mongolie qui se déroulera à partir de la fin août 2023 et d’écrire un livre, Javier Cercas croit à une blague.
Pourquoi confier cette mission à un athée bouffeur de curés plutôt qu’à un catholique bon teint ? pense l’auteur qui imagine la curie du Vatican peuplée d’individus se livrant à des messes noires tout en participant à « des orgies avec des Walkiries nazies ». Loin du lupanar imaginé, la curie n’est cependant pas exempte de travers avec ses rivalités, ses jalousies, ses ambitions, la corruption de certains de ses membres qui pratiquent des chantages sexuels, sans oublier les malversations financières.
Le pape François a mis un grand coup de pied dans la fourmilière pour faire cesser toutes ces turpitudes. Ce qui lui a valu quelques inimitiés.
Aussi incroyant soit-il, l’auteur juge qu’une une telle offre ne se refuse pas. D’autant plus que des considérations plus personnelles le motivent à approuver le projet. Sa mère, veuve nonagénaire et atteinte de la maladie d’Alzheimer, est persuadée, qu’à sa mort, elle retrouvera son mari.
L’Espagnol exige alors une condition : pouvoir avoir un entretien avec le pape afin de lui poser la question fondatrice du catholicisme, à savoir la véracité de la résurrection de la chair et de la vie éternelle, formule figurant à la toute fin du Credo.
Cette question, devenue tellement obsessionnelle qu’elle pourrait lasser certains lecteurs, il la soumet à tous les religieux qu’il croise.
Des rencontres, il en fera beaucoup, avec des employés du Vatican, avec des missionnaires, avec des vaticanistes, et la plupart d’entre elles seront fortes tellement ces hommes et ces femmes nourris par la foi sont passionnants et attachants. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, la plupart d’entre eux sont gais, généreux, amicaux, drôles, cultivés, intelligents et tolérants.
Mais le personnage le plus fascinant de cette galerie de portraits est Francesco.
D’emblée, ce pape se singularise : il est le premier Saint-Père issu du continent sud-américain, il est le premier François en référence au Poverello d’Assise, il est le premier souverain pontife jésuite.
À peine élu en 2013, il se distingue de ses prédécesseurs en se rendant à Lampedusa, là où nombre de migrants périrent, et en dénonçant l’indifférence des riches et des puissants.
Aussi, il s’intéresse davantage à la périphérie, à la fois géographique, sociale et religieuse en se déplaçant dans les pays où le catholicisme est peu présent, à l’instar de la Mongolie qui ne compte que 1 500 pratiquants reconnaissant le pape comme chef spirituel.
« François […] revendique l’impétuosité missionnaire de l’Église » écrit justement Cercas. Les missions catholiques, contrairement à celles qui ont accompagné le mouvement colonialiste, ne font plus de prosélytisme forcené mais prônent une aide, matérielle et éducative, aux plus misérables.
Sans, bien évidemment, soutenir les réactionnaires, Javier Cercas parle d’ONG pour qualifier l’Église comme elle est véhiculée par les médias qui occultent volontairement, parce que peu vendeuses, les questions spirituelles.
Cette posture empathique touche au-delà de l’Église, en particulier la gauche plus sensible aux problématiques de la pauvreté, de l’émigration, des inégalités et de la paix.
Le pape ne croit pas, contrairement à certains traditionalistes qui l’exècrent, que Dieu soit « la vérité indéniable » et que ceux qui les rejettent sont des hérétiques.
Ses pourfendeurs lui reprochent de diriger un mouvement humanitaire.
Ce qui insupporte au plus haut point le pape, c’est le cléricalisme, cette « idée perverse que les prêtres sont supérieurs aux laïcs », posture qui profiterait aux pédocriminels.
Dans la même veine, il promeut la synodalité pour que l’Église fonctionne de manière plus horizontale et fraternelle.
En creusant la biographie de Bergoglio, Javier Cercas découvre un homme complexe, ambivalent, presque janusien.
Derrière le visage doux, bienveillant, simple, souriant du presque nonagénaire qui semble vivre sa foi « comme une fête » et pratique avec délectation l’ironie démentant ainsi Cioran qui affirmait que « les religions se réduisent à des croisades contre l’humour », se tapit une personnalité au caractère bien trempé et imprévisible dont les positions sont parfois surprenantes.
On peut penser à son attitude tiède face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui peut s’expliquer par sa méfiance antiaméricaine en bon latino qu’il est.
Argentin, mais modeste, Jorge Mario est né à Buenos Aires dans une famille de la petite classe moyenne. Il fait des études de chimie, tout en s’adonnant frénétiquement au tango. Et comme tout bon Argentin, il adore le foot
Pendant la dictature qui sévit entre 1976 et 1983, alors qu’il est à la tête des jésuites, « il n’ a pas élevé la voix contre les militaires », tout en aidant des opposants au régime.
Pendant ses jeunes années, ses supérieurs jésuites lui reprochent son orgueil, sa soif de pouvoir et son autoritarisme. Il est alors exilé de la capitale à Cordoba. Il en reviendra transfiguré.
Pourtant, sous son pontificat, perce parfois l’ancien Jorge, le colérique : quand il se débarrasse avec rudesse, place Saint-Pierre d’un catholique asiatique un peu trop entreprenant ou encore quand il défend un évêque chilien protecteur d’auteurs de maltraitances ».
« Bergoglio n’a pas entièrement vaincu Bergoglio » écrit Javier Cercas, ajoutant : « Bergoglio est juste un homme ordinaire et rien d’autre. » C’est son secret et « ce qui fait de lui un vrai chrétien assis sur le siège de saint Pierre ».
Récit hybride mêlant réflexions existentielles et spirituelles, exploration intime, documentaire quasi journalistique, description du fonctionnement de l’Église catholique, tableau du christianisme comme révolution de la vision du rapport entre les hommes et formidable peinture tout en nuances du pape Francesco, « Le Fou de Dieu au bout du monde » a su faire toucher du doigt à l’indécrottable athée que je suis le catholicisme.
Avec ce livre, Javier Cercas, avec son intelligence, sa sensibilité si touchante et son ironie, délivre un message d’une grande humanité.
Et que les impies se réjouissent, Javier Cercas n’a, à ce jour, toujours pas renoué avec la religion qui l’avait habité lorsqu’il était plus jeune !
Peut-être que « le fou sans Dieu » aimerait retrouver cette foi, celle du « fou de Dieu », pour dompter l’angoisse qui l’habite depuis qu’il l’a perdue. Quoi qu’il en soit, il a pu rassurer sa mère en lui délivrant le message du pape…
EXTRAITS
- Je suis écrivain parce que j’ai perdu la foi.
- L’Europe a connu les Lumières, l’Asie non. Ce qui explique pourquoi, en Asie, la foi et la raison ne sont pas rentrées en opposition.
- En Asie, la pensée symbolique est très importante, et dans cette pensée on ne sépare pas la raison et l’émotion autant que chez nous.
- Frnçois est le représentant, en quelque sorte, de la libération d’une théologie de la libération sans marxisme.
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