Critique – Quand tu écouteras cette chanson – Lola Lafon – Stock

Critique – Quand tu écouteras cette chanson – Lola Lafon – Stock


Avec la collection « Ma nuit au musée », les éditions Stock proposent à un auteur de raconter son expérience passée dans les ténèbres d’un lieu culturel de son choix.

Pourquoi Lola Lafon a-t-elle opté pour la Maison d’Anne Frank à Amsterdam et, plus précisément, pour l’Annexe, cachette de quelques mètres carrés dans laquelle l’adolescente, ses parents, sa sœur Margot et quatre autres Juifs ont passé deux années avant leur arrestation par la police allemande ?

Peut-être en souvenir de la « médaille dorée frappée du portrait d’Anne Frank » offerte par sa grand-mère et aussi d’un amour de jeunesse sacrifié au nom d’une idéologie mortifère ?

Tout au long des cent quatre-vingts pages qui relate cet étrange moment, l’écrivaine alterne réflexions sur ce qu’a représenté et continue à incarner la jeune fille morte du typhus à Bergen-Belsen quelques mois avant la libération du camp et chronique intimiste de sa propre judéité.

Lecture quasi obligatoire, tout le monde a parcouru le « Journal d’Anne Frank » mais peu se souviennent de son contenu. Pour beaucoup, celle qui a péri à l’âge de seize ans est un symbole, source d’un « sentimentalisme bon marché », comme l’écrivait Hannah Arendt, et aussi un objet d’une merchandisation et d’un voyeurisme obscène .

Au-delà de l’emblème que certains agitent comme un mantra, Anne Frank est avant tout « une autrice prodige » que son père Otto, seul survivant de la famille, s’est acharné à publier en respectant son intégrité pour mieux souligner la clairvoyance et la singularité de sa cadette. Pourtant, les éditeurs ont préféré présenter son journal comme un monument pour la paix ou encore le témoignage de « l’épanouissement d’une adolescente face à l’adversité ». Mais de quelle adversité s’agit-il ? Nulle part il n’est fait allusion au régime nazi et à la Shoah !

Pour préparer sa nuit au musée, Lola Lafon a contacté Lauren Nussbaum qui « étudie le Journal en tant qu’œuvre littéraire depuis les années 1990 ». C’est cette femme qui dévoile une partie de la vérité sur Anne Frank en affirmant que son désir le plus profond était d’être lue. Une révélation qui ne pouvait que séduire l’autrice de « Chavirer » dont les romans donnent la parole à celles dont les voix sont inaudibles.

Le « Journal » n’est pas qu’un simple compte rendu du quotidien d’Anne Frank. En s’adressant à Kitty, une amie imaginaire, celle-ci emploie un style original et n’occulte pas le contexte historique.

Pendant les quelques heures de son séjour dans l’Annexe, Lola Lafon tente d’imaginer ce que les résidents ont ressenti. C’est la peur qui domine.

Avant de rejoindre Amsterdam, elle se plonge dans des textes sur la Shoah, et c’est la révélation. Elle prend conscience qu’elle a toujours évité toute évocation de l’antisémitisme dont la forme la plus radicale fut l’extermination des Juifs.

Cette histoire, c’est celle de sa famille qui a tu ce qu’elle a subi. Deux narrations vont alors se télescoper, celle d’Anne Frank et celle des parents, au sens large, de Lola Lafon, qui ont laissé une empreinte génétique indélébile dont elle a voulu se débarrasser. Mais le passé vous rattrape toujours et ce retour comme un boomerang est certainement la véritable raison qui a poussé Lola Lafon à pénétrer dans l’Annexe. Le surgissement d’un souvenir d’enfance tragique contribuera également à ce basculement. À lire en écoutant la mélancolique ballade des Bee Gees « I started a joke ».

Malgré une écriture magnifique et une grande intelligence, j’ai été un peu gênée par la lecture de « Quand tu écouteras cette chanson ». Peut-être est-ce le principe de l’exercice imposé qui donne l’impression d’une artificialité dans le propos, la sensation de lire une espèce de fourre-tout dans lequel l’autrice aurait voulu loger toute sa vie…

Compte tenu de la brièveté du texte, je suis restée un peu sur ma faim. J’aurais aimé que Lola Lafon développe cette épiphanie libératrice et apaisante qui l’a saisie.

EXTRAITS

  • Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie.
  • Écrire n’est pas tout à fait un choix : c’est un aveu d’impuissance. On écrit parce qu’on ne sait par quel autre biais attraper le réel.

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