Critique – Réflexions sur la question antisémite – Delphine Horvilleur – Grasset

Critique – Réflexions sur la question antisémite – Delphine Horvilleur – Grasset


Pour expliquer l’antisémitisme, dont on constate une recrudescence ces derniers temps, Delphine Horvilleur s’est plongée dans les textes sacrés, la tradition rabbinique et les légendes juives.

Maîtrisant parfaitement son sujet et douée d’un vrai sens de la pédagogie ainsi que d’un humour que je n’ose pas qualifier de juif mais, tant pis, je le fais tout de même, la rabbine embrasse l’histoire pour mieux comprendre cette haine dont les filles et fils d’Abraham ont été les victimes.

Avant d’être défini comme Juif, l’Hébreu est celui qui a quitté sa terre de naissance pour rejoindre la Terre promise. « Un Egyptien vient d’Egypte (…) mais un Hébreu ne vient pas d’une terre ainsi nommée. Son nom ne dit pas son origine mais sa coupure des origines » écrit Delphine Horvilleur, soulignant en quelque sorte l’incongruité du positionnement des Juifs.

S’immergeant toujours dans la lecture biblique, l’auteure fait le récit des rapports entre Esaü et Jacob, deux frères que tout oppose. Le premier incarne la force virile ; le second, à qui un envoyé mystérieux déclara : « Ton nom ne sera plus dorénavant Jacob mais Israël », est imberbe et une espèce de « fils à maman ». C’est lui qui va inspirer la vulgate antisémite voyant dans le Juif une « femmelette ». Quelques siècles plus tard, Freud établit « un lien direct entre antisémitisme et misogynie » qui trouverait ses origines dans une peur de la castration et, au-delà, dans la crainte d’une atteinte à l’intégrité de la nation jugée indivisible. Pour Léon Daudet, Léon Blum est une « fifille », une « mamzelle ». Cette confusion, aussi stupide soit elle, trouverait son origine dans le choix des modèles d’identification effectué par les rabbins. « Les héros qu’ils privilégient (…) sont des personnages (…) partiellement vulnérables, souvent handicapés » précise Delphine Horvilleur. Et d’invoquer la stérilité d’Abraham (je croyais que c’était sa femme Sarah qui l’était sinon il n’aurait pas eu Ismaël et Isaac ! A moins que…), la cécité d’Isaac, la fragilité de Jacob et le bégaiement de Moïse.

A contrario, dans la phraséologie haineuse, la Juive est souvent présentée comme une virago.

Née sur le manque, probablement celui du Temple de Jérusalem détruit en 70 par les Romains, l’identité juive repose sur un « en moins ». « La vie juive ne se construit que sur la conscience d’une incomplétude qui lui tient lieu de fondement. C’est le manque à être qui crée le désir d’être, le désir tout court, et qui garantit l’avenir » insiste la rabbine. Freud rappelle que c’est ce Temple, devenu invisible, qui est le garant de la pérennité du judaïsme. Et, ce que les antisémites reprochent aux Juifs est précisément leur « increvabilité ». Autre reproche : la notion controversée de « peuple élu » par Dieu pour laquelle plusieurs interprétations ont été données.

La religion juive est décidément bien enquiquinante pour les autres cultes et spiritualités élevés sur l’idée du « tout salvateur » car « les Juifs sont « pas-tout », dans la mesure ils empêchent un collectif plus large qu’eux de se colmater pour faire du « comme-Un » » (…). Et tout projet universel (…) est menacé par la tentation totalitaire, qui pour sauver le tout pour le tout, mettra les Juifs en exception ».

De même, Israël serait accusé de violer la continuité du monde arabe par sa présence étrangère.

Très bien documenté, intelligent, souvent brillant, l’essai de Delphine Horvilleur, dont le titre est un clin d’oeil aux « Réflexions sur la question juive » de Sartre, offre au lecteur néophyte une explication passionnante sur les racines de l’antisémitisme. Salvateur et indispensable.

EXTRAITS

  • Il existe par exemple une distinction fondamentale entre l’antisémitisme et les autres racismes. Ces derniers expriment généralement une haine de l’autre pour ce qu’il n’a pas (…). Le Juif au contraire est souvent haï, non pour ce qu’il N’A PAS mais pour ce qu’il A.
  • Cherchez le Juif, l’antisémite n’est jamais loin.
  • Fonder son identité sur un geste de coupure, c’est-à-dire sur un « en moins » créateur d’appartenance, c’est l’étrange proposition que fait le judaïsme rabbinique. S’il peut la formuler, jusqu’à en faire la pierre d’achoppement de son édifice immatériel, c’est peut-être simplement parce qu’il se construit historiquement sur un manque, et pas des moindres, celui du Temple de Jérusalem.

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