Critique – Bien-être – Nathan Hill – Gallimard

Critique – Bien-être – Nathan Hill – Gallimard


Il aura fallu patienter sept ans pour retrouver Nathan Hill découvert avec son formidable premier roman « Les Fantômes du vieux pays ».

Cette attente n’a pas été déçue.

Chicago au début des années 1990 dans un quartier pauvre qui ne va pas tarder à se gentrifier. Elizabeth et Jack vivent dans des appartements séparés par une ruelle sombre.

Ces étudiants, en psychologie entre autres pour elle et en art pour lui, sont des solitaires qui ont fui leurs familles, la grande bourgeoisie dont la fortune s’est construite sur l’escroquerie pour elle, la classe moyenne rurale du Kansas pour lui, s’épient derrière les fenêtres.

C’est dans un bar du quartier qu’ils vont se rencontrer et ce sera le coup de foudre, le vrai, celui qu’on n’explique pas.

Vingt ans plus tard, nous retrouverons les deux tourtereaux, flanqués d’un enfant de huit et sur le point de devenir propriétaires dans une banlieue huppée de la capitale de l’Illinois. Mais l’alchimie fusionnelle des débuts a vécu et leurs manières de voir l’avenir s’éloigne.

C’est surtout Elizabeth, devenue psychologue spécialiste du placebo, qui s’interroge sur leur couple, tout en se préoccupant de l’éducation de son fils sur lequel elle applique des préceptes psychologiques avec plus ou moins de succès.

Si la question du mariage et la pérennité de l’amour sont au cœur du récit de Nathan Hill, « Bien-être » ne se contente pas d’ausculter le couple.

C’est aussi l’Amérique de ces dernières années qu’il explore en abordant, sans jamais être pesant et didactique :

  • la bien-pensance et la pensée positive incarnées par l’hypocrite et intolérante Brandie, droite sans ses bottes et incapable de se remettre en cause.
  • la manipulation des réseaux sociaux qui encouragent le culte des émotions, les opinions extrêmes, le complotisme et la désinformation dont sera victime le père de Jack.
  • les ultimatums de la société de consommation nous dictant notre alimentation et les exercices physiques à pratiquer pour nous sentir bien. L’ennui est que les méthodes ne sont jamais d’accord sur les moyens pour y parvenir. Ce diktat pousse même Jack à se doter d’une montre connectée, véritable Big Brother de son corps et de sa santé mentale.
  • le rejet des centres-villes des plus plus pauvres chassés par les bobos qui sont censés les soutenir.
  • la parentalité, vaste fourre-tout aux injonctions divergentes aptes à rendre fous mères et pères de famille…

Plus généralement, le second opus de l’auteur américain s’interroge sur la croyance, sur notre besoin d’inventer des histoires en espérant atteindre la vérité ou tout simplement se consoler d’une vie décevante.

Avec sa construction labyrinthique à la chronologie éclatée, « Bien-être » est un livre magistral à l’humour corrosif et avec une vraie tendresse pour ses personnages perdus dans un environnement qu’ils ne maîtrisent pas et encore marqués par les blessures de l’enfance. Avec les retours dans le passé, l’écrivain souligne la force du kairos.

À ceux qui pensent que le roman est mort, Nathan Hill prouve que la fiction a encore de beaux jours devant elle pour expliquer le monde comme il va, toujours plus vite, toujours plus chaotique, toujours plus insaisissable.

EXTRAITS

  • Ils sont tous les deux à Chicago pour devenir orphelins.
  • Leur quartier bohème était devenu un quartier bourgeois ayant la bohème pour thème.
  • Voilà ce qu’est l’amour, ma chère : une dilatation du moi.

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