Critique – La zone d’intérêt – Martin Amis

Critique – La zone d’intérêt – Martin Amis


En 2014, le « bad boy » des lettres anglaises avait ému le petit monde de la littérature européenne en voyant son manuscrit, « The zone of interest », refusé par ses « fidèles » éditeurs français et allemand. Gallimard prétextait la faiblesse du texte pour retoquer le roman. N’est-ce pas plutôt le choix de l’auteur de s’emparer du thème de la Shoah pour le traiter sous un angle audacieux qui a dû déranger ceux qui ont pourtant fait connaître « Les bienveillantes » de Jonathan Littell et ses descriptions minutieuses de l’extermination des Juifs ?

Le fils du grand Kingsley a pris le parti de faire vivre, via le témoignage de trois de ses « habitants », le quotidien d’un « Konzentrationslager » qui ressemble étrangement à Auschwitz dont l’environnement fut curieusement dénommé « la zone d’intérêt » par les Nazis. C’est de ce décalage entre « la vie continue » et les horreurs perpétrées qui crée le malaise chez le lecteur.

Le « trio » est composé de Paul Doll, le commandant du camp, alias le « vieux pochetron » libidineux, qui accomplit sa mission de bureaucrate avec exemplarité. Suit le séduisant Angelus Thomsen, neveu de Bormann, une espèce de fleur bleue cultivée et éprise de la femme du chef. Ce qui ne l’empêche pas de participer à l’entreprise visant à détruire les Juifs. Enfin, il y a le Sonderkommando Szmul qui, pour retarder l’heure de sa mort, accomplit les basses besognes indispensables au bon fonctionnement de l’industrie génocidaire. Ce personnage, ainsi que celui d’Hannah, l’épouse de Doll, prouvent que l’humanité a droit de cité dans cet univers concentrationnaire qui, malgré l’image que nous en avons, connaît quelques ratés. Des situations rocambolesques qui pourraient prêter à sourire, voire à rire, nous laissent pourtant un goût amer dans la bouche.

Si la littérature est faite pour déranger, alors, Martin Amis a réussi son pari. Même si quelques longueurs m’ont empêchée de le gratifier d’un « coup de coeur ».

EXTRAITS

  • « Vous savez quoi ? Retournez donc au Ka Be et faites un peu de sélection là-bas. Ou dînez tôt. Il y a du canard poché au menu ce soir. »
  • « Mais les yeux sont le miroir de l’âme et, quand l’âme est partie, le regard est vide. »
  • « Je suis un simple rouage dans une vaste machine. Je suis de la pacotille. Je suis une non-entité. Je suis de la merde. »
  • « Cet endroit n’est pas fait pour les sentiments délicats, Boris. »
  • « Il faisait moins quatorze et la neige, teintée de brun par les émanations du bûcher et des cheminées, tombait dru. »
  • « Golo, regarde-les danser, dans leurs tenues rayées. »
  • « Lorsque l’avenir se penchera sur les Nationaux-Socialistes, il les trouvera aussi exotiques et improbables que les carnivores de la Préhistoire (…). Ni humains ni mammifères. »
  • « Frau Doll, première dame du KL. »
  • « Les femmes vieillissent mal au KL. »

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