Critique – Leçons – Ian McEwan – Gallimard
La brièveté du titre est-elle un clin d’œil à l’envergure du dernier roman de Ian McEwan et ses quelque 650 pages ou une adresse ironique à la littérature qui entend nous donner des conseils pour réussir sa vie ?
Bien loin du guide de développement personnel, « Leçons » fait l’état des lieux sur la manière dont les événements relevant de la grande Histoire et de l’intime peuvent peser sur la destinée des individus pris en étau entre leur libre arbitre, les hasards et les contraintes.
C’est un homme sans qualités qui va donner chair à cette perspective à la fois vertigineuse et banale dans le sens où elle nous affecte tous.
Il s’appelle Roland Baines. Alors que le nuage radioactif de Tchernobyl menace l’Europe, le poète de pacotille vient d’être quitté par sa femme Alissa. « Je t’aime mais je pars pour de bon. Je me suis trompée de vie » écrit-elle. Pendant que son épouse s’apprête à devenir une grande écrivaine, il se retrouve seul avec Lawrence, son bébé de quelques mois.
Son désespoir se double d’une paranoïa face à la menace nucléaire. Il se barricade dans sa maison de Clapham attendant que la catastrophe passe.
Cette année 1986, où un accident qui touche des millions de personnes et un abandon qui n’en concerne qu’une, va être pour Roland l’occasion de revenir sur son passé : son enfance chaotique auprès d’un père militaire et d’une mère soumise et mélancolique ; ses années dans un pensionnat anglais où il entretient une relation ambiguë et abusive avec sa professeure de piano de dix ans son aînée, une liaison qui le hantera et modifiera ses rapports avec les femmes ; ses voyages ; ses petits boulots…
Avec Roland, qui a beaucoup de traits communs avec l’auteur, et sa famille, quatre-vingts années décisives du vingtième et d’un vingt-et-unième siècles commençant sont traversées.
De la guerre froide au Brexit en passant par le conflit des Malouines, le libéralisme économique désastreux de Margaret Thatcher, la Covid…
À ces faits essentiels pour le monde s’opposent la trivialité du quotidien paralysant de l’anti-héros – s’occuper d’un enfant, gagner de l’argent… – et le fait que, contrairement à ses parents marqués à jamais par la Seconde Guerre mondiale, il a vécu un âge d’or dont l’acmé fut la chute du mur de Berlin auquel il a assisté et ce qu’on a appelé la fin de l’histoire avec la victoire des démocraties et du Bien.
La période actuelle nous rend moins optimiste sur l’avenir avec le terrorisme, la multipolarité et le dérèglement climatique comme présent et comme perspectives.
Avec intelligence, justesse et une vraie empathie communicative pour ses personnages imparfaits, « Leçons » saisit le temps qui file et la manière dont la mémoire reconstitue le passé avec plus ou moins d’exactitude.
Quel brio !
EXTRAITS
- Il s’imaginait que son amour protégeait son fils. Mais quand une urgence nationale survient, elle met tous les humains sur un pied d’égalité.
- Mais à quoi servait la poésie alors qu’il avait besoin d’argent ?
- Rien de tel qu’une guerre pour faire pénétrer les événements publics dans la vie privée.
- Je n’ai pas de racines.
- Une chance inouïe, que d’être né en 1948 dans le paisible Hampshire plutôt qu’en Ukraine ou en Pologne en 1928.
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