Critique – Gabriële – Anne et Claire Berest – Stock
Anne et Claire Berest sont les arrière-petites-filles de Gabriële Picabia mais elles n’avaient jamais entendu parler de leur aïeule.
Et pour cause ! Leur grand-père paternel, dernier rejeton des époux Picabia, s’est suicidé par overdose à l’âge de 27 ans. Lélia, la mère des deux sœurs, avait 4 ans. En écrivant cette biographie à quatre mains, elles plongent dans leur histoire familiale et font partager aux lecteurs le destin d’une femme étonnante dotée d’un caractère affirmée et d’une « intelligence instinctive ». En 1898, alors qu’elle n’a que 17 ans, elle affirme vouloir être compositeur. Elle fréquente alors la Schola Cantorum mais sa rencontre avec Francis Picabia en 1908 lui fait abandonner toutes ses ambitions musicales. C’est un coup de foudre intellectuel et artistique même si le couple eut tout de même quatre enfants. Pratiquant la maïeutique comme personne, elle inspire et stimule son bipolaire de mari, infatigable coureur de jupons et, de plus, opiomane. Un sale type (même si sa maladie lui donne des excuses) en somme, égocentrique et immature. Mais on pardonne tout aux artistes de génie. Et elle en vient même à consoler une maîtresse éplorée… Avec abnégation, elle encourage son grand homme à abandonner l’impressionnisme pour s’orienter vers l’abstraction.
Ces deux-là vont participer avec frénésie à l’effervescence artistique et esthétique qui agite Paris avant le premier conflit mondial. Gabriële parle de « débauche cérébrale ». Leurs amis, voire plus, s’appellent Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Mais leur obsession à créer une œuvre leur fait oublier leurs enfants. Francis dira même : Une femme qui a un enfant, c’est neuf mois de maladie et le reste de sa vie une convalescence ». Gabriële n’est guère maternelle et, souvent en voyage, à New York ou en Suisse, abandonne souvent sa progéniture aux bons soins de ses parents. Elle ira même, à la mort de Picabia en 1953, jusqu’à exhumer du caveau familial le corps de son fils pour placer celui de son mari…
Bref, l’art prime sur l’humain.
Portrait d’une femme extraordinaire, au sens littéral, « Gabriële » est aussi le récit enlevé et passionnant d’une époque de ferveur créatrice.
EXTRAITS
- Elle aussi s’arrête au-dessus du berceau, parfois, une ou deux longues minutes, perdue dans une songerie sans dessein où se découpe l’inquiétant diktat de ce corps d’enfant rose.
- Ces toiles étranges que vous voyez sont liées aux progrès techniques, explique-t-elle. Parce que la photographie, devenue le cinéma, a enlevé à la peinture son rôle le plus important. Autrefois, la peinture avait pour mission de garder l’image de la vie des hommes dans le temps. Aujourd’hui, tout est différent. »
- Dans cette famille, comme dans toutes les autres, les prénoms sont des lapsus révélateurs, des constructions identitaires que vos parents vous collent sur les épaules. Des cadeaux de naissance, lestés, pour vous créer des nœuds au cerveau. Mais les enfants décident tous de se rebaptiser.
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