Critique – La serpe – Philippe Jaenada – Juillard

Critique – La serpe – Philippe Jaenada – Juillard


Depuis 2013, le sympathique Philippe Jaenada s’intéresse à des personnages réels ayant eu maille à partir avec la justice : Bruno Sulak en 2013, Pauline Dubuisson en 2015 et, plus récemment, Henri Girard plus connu sous le nom de George Arnaud, l’auteur du « Salaire de la peur ».

C’est presque à reculons qu’il part en Dordogne sur l’insistance de Manu, petit-fils d’Henri. Le Parisien pur jus a l’impression de débarquer sur une autre planète, persuadé que son look de « descendu de la capitale » ne manquera pas d’attirer les regards. Bref, il frise la parano.

Comme dans « La petite femelle », il va remonter dans le passé pour s’assurer que celui qui fut accusé de l’assassinat de son père, de sa tante et de la bonne n’est pas coupable. Car, à Escoire, bien que le responsable tout désigné ait été acquitté après dix-neuf mois de prison, on le pense toujours coupable. Car Henri, 24 ans au moment des faits qui se sont déroulés en 1941, a tout du sale gosse. Menteur, voleur, colérique, dépensier, coureur de jupons, il est le criminel idéal. Et pourtant… Peu à peu, on apprend que ce garçon finalement plutôt attachant nourrit des relations affectueuses avec sa famille, en particulier avec son père avec lequel il entretient une correspondance à la limite de la mièvrerie.

Si je me suis peu intéressée à l’enquête proprement dite à l’issue de laquelle Philippe Jaenada nous dévoile son intime conviction, j’ai aimé la façon dont l’écrivain campe ce personnage romanesque qui, après son incarcération et, surtout, sa rencontre avec Rolande alias « Quatre-Pattes » sera métamorphosé. Alors qu’il brûlait la vie par les deux bouts, il consacre toute son énergie et ses talents littéraire et d’orateur à défendre la veuve et l’orphelin. Comme celui qui écrit son histoire pour lui redonner son intégrité.

« La serpe » est aussi le portrait d’une époque, celle de l’après-guerre, celle de l’Indochine, des « événements » en Algérie, des violences policières, d’une justice expéditive… Jaenada, en fin observateur, porte aussi un regard acéré sur notre société (cf. scène surréaliste où une femme offre des tickets de jeux à gratter à des SDF !).

Et puis, il y a l’humour, point commun entre Henri et son conteur, roi de la digression, qui apporte une respiration bienvenue (cf. dialogues de sourd dans un restaurant chinois ou passage sur le thermomètre).

EXTRAITS

  • J’imagine la scène, c’est poignant, Cécile allongée raide et froide dans la pénombre, vêtue de sa robe mortuaire, les mains jointes sur une croix, et dans la pièce voisine, une grande tablée de fêtards gâteux qui s’empiffrent, boivent et bavent, grattent leurs croûtes, chantent à tue-tête en alsacien et s’échangent des blagues salaces entre deux rots fétides – autant agoniser dans la bonne humeur, hopla !
  • J’allume une cigarette. (…) C’est pratique, notre société précautionneuse, craintive et hygiénique, on se sent hors-la-loi à peu de frais, un simple geste – un morceau de carton dans la poubelle verte ou un kilomètre sans ceinture et tant pis si ça sonne – procure quelques secondes le doux frisson du crime.

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