
Critique – L’Hospitalité au démon – Constantin Alexandrakis – Verticales
Quel que soit son degré de patience, tout parent se reconnaîtra en lisant les premières pages de « L’Hospitalité au démon ».
Le Père est sur le point de craquer. Il n’en peut plus des hurlements de « cette petite-fille, la sienne, […] moins qu’une personne, à peine une chose », de ses ordres pour des broutilles (une tétine qui tombe, un doudou perdu, un biberon trop chaud…) ses « agressions » (un livre jeté, une séance d’épilage de poils de nez…).
Bref, cette enfant, en pénétrant son « périmètre intime », lui bouffe la vie. Elle est tellement invasive qu’il la surnomme « la Principale » ! Au bout du rouleau, frappé par un « burn-out » parental, il lui hurle dessus et semble être presque sur le point de la frapper.
Mais ce qu’il craint le plus, c’est d’être un père criminel, un adulte pédophile comme celui qui abusa de lui. Car le fait d’être parent l’amène « à subir un temps qu’il pensait ne jamais revoir ». Il se rappelle cette phrase de Frantz Fanon : « Le malheur de l’homme est d’avoir été enfant ».
Il révèle « qu’il a subi de menues atteintes sexuelles […] quelque part entre 9 et 14 ans » de la part de Bernard, « son petit pédophile personnel » et un ami de sa mère, photographe comme le sont nombre de pédocriminels (cf. le témoignage de Flavie Flament abusée par David Hamilton).
Comment vivre avec ça quand votre nouveau statut vous ramène inexorablement à vos jeunes années que vous pensiez avoir mises de côté ? Comment exister quand vous ressentez des pulsions physiques pour la chair de votre chair ?
Le récit narré par Constantin Alexandrakis à la troisième personne se déroule au Danemark, là où « il y a quelque chose de pourri ». Dans ce pays, le Père pratique toutes sortes de sports de combat. Peut-être pour endurcir ce corps qui fut souillé afin de le rendre intouchable…
Le livre alterne confessions intimes marquées par une colère éructante et références littéraires et documentaires pour tenter de comprendre ce mal-être qui l’habite et pourquoi il était persuadé, à l’adolescence « d’être une petite pute ».
Parce que l’agresseur ne se sentant pas fautif, c’est la victime qui endosserait la culpabilité de l’acte.
« Il y aurait une sorte de jeu de miroirs entre le pédocriminel qui cherche à retrouver son « enfant intérieur » […] et le futur enfant intérieur du véritable enfant abusé ». En d’autres termes, le pédocriminel aurait le même âge que ses victimes. L’auteur cite les exemples de Michael Jackson et, surtout, de Humbert Humbert, le prédateur de « Lolita » cité aussi par Neige Sinno, préfacière de « L’Hospitalité au démon », dans « Triste tigre ».
Le narrateur du roman de Nabokov « justifie ses actes en se disant à la poursuite de son premier amour, préadolescent ». A contrario, la proie devra tuer l’enfance pour survivre.
C’est dans une conférence (« Confusion de langue entre les adultes et l’enfant ») du neurologue et psychanalyste Ferenczi que Constantin Alexandrakis trouve l’explication de la « maturation expresse ».
Dans un rapport de mètis (ruse en grec), le pédocriminel « se masque en enfant, pour retourner l’enfance même contre l’enfant qu’il trompe ».
Si Constantin Alexandrakis se félicite de la libération de la parole des victimes des pédocriminels qui a entraîné une prise de conscience de la société de l’ampleur du mécanisme, il déplore la radicalité de certaines positions affirmant qu’il existerait une culture du viol entretenue par des générations d’hommes grâce à « l’instrument du crime » qu’ils portent entre leurs jambes.
Les hommes seraient donc assignés à maltraiter les femmes. Le Père, parce qu’il est un mâle blanc, serait forcément un bourreau. Ce raisonnement est absurde car la réalité est évidemment plus compliquée. D’autant plus qu’il est nécessaire de distinguer les pensées ou les paroles des actes.
Il y a aussi les opportunistes qui, de manière dégueulasse, exploitent le fléau des viols d’enfants à des fins commerciales comme d’autres, à l’inverse, brandissaient autrefois comme un étendard la liberté de l’amour entre adultes et mineurs…
Dans un style explosif et chahuté, reflet de ses états d’âme, Constantin Alexandrakis et toucher du doigt la compréhension de l’un des pires maux de nos sociétés.
Une lecture nécessaire quand on sait que plus de cinq millions de femmes et d’hommes « ont été confrontés à des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans ».
EXTRAITS
- Comment faire pour aimer à l’infini quand on a un couteau et des larmes à la place du cerveau ?
- Il n’arrive même plus à savoir ce qui est le plus traumatisant, essayer de se faire reconnaître comme victime, ou bien les actes mêmes de l’abus.
- La pédocriminalité, c’est du crime parce que ça fait du mal aux gens. On ne cherche plus à savoir si c’est bien ou mal […]. Les seuls qui continuent à croire qu’il s’agit d’amour, ce sont les pédophiles eux-mêmes.
- C’est encore plus dur de se différencier de son agresseur, pour un mec, parce que la ruse prend la forme d’une initiation.
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