Critique – L’inconnu de la poste – Florence Aubenas – L’Olivier
Le 19 décembre 2008, le corps sans vie de Catherine Burgod est retrouvé lardé de vingt-huit coups de couteau dans le bureau de poste où elle travaille. La jolie quadragénaire connue pour ses tentatives de suicide à répétition était enceinte de cinq mois.
A Montréal-la-Cluse, bourg de près de 4 000 âmes du Haut Bugey où s’est produit l’assassinat ainsi que le vol de quelques centaines d’euros, c’est la consternation. D’autant plus que la victime est la fille de Raymond Burgod, directeur général des services de la mairie à la retraite et adjoint au maire en charge des finances. Une sorte de notable connu de tous.
A l’heure où le village était en pleine effervescence avec l’embauche des travailleurs de cette « Plastic Vallée» et la rentrée des enfants à l’école, quelqu’un aurait dû repérer le meurtrier. Or, personne n’a rien vu.
Le suspect idéal est l’ex de la postière mais il est rapidement innocenté.
A peine un mois après les obsèques, deux dames se rendent au cimetière pour se recueillir sur la tombe de leurs parents. A côté de la sépulture de celle que tout le monde appelait affectueusement Kathy, se trouve un homme. Malgré son abattement, ce dernier engage la conversation avec les visiteuses. Dans une logorrhée délirante, il dévide sa vie et mime la scène du meurtre. Médusées et pensant avoir découvert le coupable, les deux femmes contactent la gendarmerie. Le piège va se refermer sur Gérald Thomassin, le principal protagoniste du livre. Installé un an plus tôt dans la région pour prendre l’air, repartir sur de bonnes bases et fuir ses addictions, il est considéré comme un marginal. Pourtant, ce récipiendaire du « César du meilleur jeune espoir masculin » pour sa prestation dans « Le petit criminel » de Jacques Doillon a à son actif une belle filmographie. La vie de cet enfant de la DDASS alterne alors entre tournages où il s’avère sérieux et talentueux et périodes de désœuvrement pendant lesquelles les démons que sont l’alcool, la drogue et les tentatives de suicide, le rattrapent. Entre le tapis rouge et la descente aux enfers.
Parce qu’il a peur d’être occis par l’ex de Catherine et le père de cette dernière, Thomassin quitte Montréal pour Rochefort. Il est mis sur écoute et, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec son frère, il affirme : « « c’est moi qui ai assassiné la dame ». Mis en examen, il est incarcéré à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas en 2013. Pourtant, son ADN n’a pas été retrouvé sur les lieux du crime. C’est sa mythomanie (un comportement normal pour un acteur ?), son attitude fantasque frisant la folie, sa marginalité et sa fascination pour les faits divers et les cimetières qui l’ont fait chuter. Deux ans plus tard, défendu par Eric Dupond-Moretti, il sera libéré. Sollicitée par une directrice de casting persuadée de son innocence, Florence Aubenas accepte de percer le mystère du meurtre de Catherine Burgod. Son travail va durer cinq années.
Le 29 août 2019, Thomassin est convoqué à Lyon par les juges qui devraient enfin le blanchir. La journaliste l’attend. Il ne viendra pas. Il a disparu. Depuis, il ne s’est pas manifesté. Personne ne sait ce qu’il est devenu.
Dans la lignée du « nouveau journalisme », Florence Aubenas a composé un récit qui se lit comme un polar. Elle restitue avec précision le cadre dans lequel l’affaire se déroule, ce petit bout de France désertée par les services publics où, en l’espace de quinze ans, l’usine a remplacé la terre. Sans juger et avec une certaine empathie pour les protagonistes, qu’il s’agisse de Thomassin brisé par une enfance chaotique ou de Raymond Burgod démoli par la mort de sa fille, elle transcende le fait divers en nous livrant une œuvre éminemment romanesque. Parce ce que la réalité dépasse souvent la fiction…
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