Critique – Tibi la Blanche – Hadrien Bels – L’Iconoclaste
C’est à Thiroye, banlieue de Dakar, que vivent trois amis, personnages principaux du second roman d’Hadrien Bels. Ils s’apprêtent à passer le bac, point de passage obligé vers l’âge adulte, celui de l’indépendance.
Tibilé, qui a inspiré le titre, est l’élément féminin du trio. Considérée comme la plus intelligente de ses enfants par son père, elle aspire à rejoindre la France pour y poursuivre ses études, d’où ses multiples surnoms : Tibi Toubab, Tibi la Française et bien sûr Tibi la Blanche. Sa tête est recouverte d’un foulard, non pour des raisons religieuses, mais pour cacher un crane devenu chauve après qu’elle eut plongé sa tête dans le fleuve Sénégal
Quitter le pays, c’est pouvoir enfin goûter la solitude. C’est aussi l’occasion d’échapper au poids de la famille, aux tâches ménagères qui lui incombent parce qu’elle est une fille « alors qu’il y a plein de garçons qui foutent rien dans cette maison », à un mariage imposé, le futur époux étant soigneusement sélectionné par la mère… Cette union avec un membre de son ethnie, Tibi, dotée d’un fort caractère, s’y refuse.
Tout départ est pourtant une déchirure.
Issa rêve d’être un styliste célèbre. Homosexuel dans une société peu tolérante, il est impensable pour lui de faire son coming out. Peu assidu au lycée, il fait appel à un marabout pour l’aider à décrocher le précieux diplôme.
Neurone, l’excellent élève de la petite bande, vit dans une famille favorisée. Ce qui ne l’empêche pas de critiquer les malversations qui gangrènent son pays. Son père entend faire jouer ses relations pour lui procurer un visa étudiant pour la France. L’adolescent est silencieusement amoureux de Tibi mais, n’étant pas issu de la même ethnie que sa bien-aimée, il a peu d’espoir.
« Tibi la Blanche » suit les protagonistes dans leurs rêves mais aussi dans leurs désillusions.
Au-delà du récit de leur parcours, Hadrien Bels offre, dans une langue flamboyante, un tableau vivant du Sénégal : ses couleurs, ses odeurs, ses bruits, ses superstitions, ses traditions, sa population fourmillante, sa jeunesse souvent énergique et volontaire, son sens de l’entraide et de la débrouille, son humour distancié, ses expressions truculentes, sa corruption endémique, sa violence politique et policière malgré un régime démocratique qui fonctionnait plutôt bien jusqu’à la radicalisation du président Macky Sall, ses panneaux publicitaires criards d’une autre époque vantant des sodas, ses objets de contrefaçon « made in China » vendus sur le bord de la voie rapide au mépris de toutes règles de sécurité…
Ce roman évoque aussi la relation d’amour-haine qui lie l’ancienne colonie, indépendante depuis 1960, à la puissance colonisatrice. La France reste la destination naturelle des candidats au départ. Mais d’autres Eldorados , comme le Canada ou les États-Unis, émergent. « Là-bas, on est des investisseurs, des businessmen, en France on est des immigrés ». constate Neurone.
Une fois envolés, les jeunes ambitieux deviennent des étrangers dans leur pays natal. « La France va ouvrir à son fils ses bras flasques de vieille Blanche et ne le lâchera plus » se lamente Binette, la mère de Neurone, qui imagine une hypothétique belle-fille en villégiature sur la terre de son mari. Flanquée « de ses deux petits métis », elle craindra le paludisme, évoquera les assassinats de touristes français, s’étonnera, avec un brin de condescendance, du statut d’infériorité des femmes…
Pour ceux qui restent, la France déclenche des sentiments d’inimitié. Peut-être parce qu’elle est trop présente : « dans la langue, les émissions de télé…. ». Pourtant, certains profitent de son système social en envoyant un cousin « aux rendez-vous de Pôle Emploi pour continuer à toucher l’allocation ». Comme pour prendre une revanche sur l’ex-occupant !
EXTRAITS
- Le bâtiment du consulat de France ressemble à un vieux Blanc qui pue l’histoire embarrassante.
- Au pays, les hommes ont le temps de voir la mort leur faire un petit signe de la main.
- Les deux pays forment un couple qui se tourne le dos dans le lit conjugal.
- Les traditions déteignent trop, dans la bassine du mariage.
- L’administration est une maison close, il suffit de payer et elle te donne son cul.
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