Critique – Tiens ferme ta couronne – Yannick Haenel – Gallimard

Critique – Tiens ferme ta couronne – Yannick Haenel – Gallimard


Qu’écrire après avoir refermé « Tiens ferme ta couronne », Prix Médicis 2017 ? Mon ressenti est mitigé.

Mais racontons ou plutôt tentons de raconter l’histoire. Le narrateur Jean Deichel, personnage paraît-il récurrent dans l’oeuvre de Yannick Haenel dont je n’ai lu que le controversé « Jan Karski » que j’ai beaucoup aimé, vit dans un petit appartement minable du 20ème arrondissement de Paris. Son quotidien est rythmé par le triptyque « ordinateur, frigo, vodka ». Il n’est pas complètement seul puisqu’il vit avec Sabbat, un sympathique dalmatien que son maître lui confie lorsqu’il part en déplacement.

Auteur d’un scénario gargantuesque de 700 pages sur la vie de Herman Melville, l’auteur de « Moby Dick » dont la carrière littéraire ne fut qu’une accumulation de désillusions, allant même jusqu’à déclarer à son ami Nathaniel Hawthorne : « Quand bien même j’écrirais les Évangiles en ce siècle, je finirais dans le ruisseau ».

Car l’échec est ce qui semble fasciner Jean. Peut-être parce qu’il en est aussi la victime, lui qui le considère comme « la vérité de l’être » ? Dans la foulée, il s’intéresse à Michael Cimino, lui aussi oublié par le cinéma américain, et ne cesse de visionner « Voyage au bout de l’enfer », gros succès du réalisateur, mais dont le film suivant, « La porte du paradis » fut un désastre financier. Il est vrai que ce long (très long !)-métrage racontait l’histoire du « massacre des populations civiles pauvres venues de Pologne et d’Ukraine par des milices payées par les capitalistes de la région ». L’événement se passait vers 1890 dans le Wyoming. Avoir extirpé du grand récit national cette page peu glorieuse fut assez mal vu par les bien-pensants qui refusent d’accepter que la fondation de leur beau pays repose sur une série de crimes tels que l’extermination des Indiens et le recours à des esclaves.

Malgré des digressions un peu folles qui plongent notre « héros » dans « un roman d’aventures » que je n’ai pas toujours comprises, j’ai retenu de ce texte très bien écrit, truffé de phrases fulgurantes et justes, souvent drôle et qui m’a fait penser à « After hours » de Scorsese, oscillant sans cesse entre poésie et trivialité, entre rêve, ou plutôt cauchemar, et réalité qu’il était une ode à tous ces artistes – écrivains, cinéastes – en quête d’impossible et prêts à tout sacrifier, y compris la solitude, pour atteindre la vérité. Et cette recherche a quelque chose de sacré et de religieux. Pas mal à l’époque que nous vivons.

EXTRAITS

  • Un écrivain (…) est quelqu’un dont la solitude manifeste un rapport avec la vérité et qui s’y voue à chaque instant (…) ; un écrivain est quelqu’un qui, même s’il existe à peine aux yeux du monde, sait entendre au cœur de celui-ci la beauté en même temps que le crime et qui porte en lui, avec humour ou désolation, à travers les pensées les plus révolutionnaires ou les plus dépressives, un certain destin de l’être.
  • On était dans la platitude criminelle de l’origine, me dit-il, dans l’Amérique du massacre ordinaire : c’était le contraire de la Terre promise, et ce contraire annonçait déjà notre époque d’extermination.
  • Ellis Island, c’était quand même un lieu où l’on avait sélectionné des êtres humains.
  • Les mots suffisent ; c’est eux qui font voir.
  • Faire un film, comme écrire un livre, consiste à trouver le récit capable de dire les noms et de tramer les détails : c’est-à-dire de faire entrer dans son cœur toute chair qui est au monde pour la conserver en vie ou lui accorder la vie qu’elle n’a plus.
  • Carax comme Cimino (…) étaient les derniers poètes d’une époque où l’industrie du cinéma ne s’intéressait plus du tout au cinéma, mais seulement à elle-même.
  • Tandis que toutes les civilisations étaient fondées sur l’idée de garder le feu, notre civilisation est celle de l’extinction.

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