Critique – Les vilaines – Camila Sosa Villada – Métailié
Lorsque la nuit tombe sur Cordoba, des créatures envahissent en troupeau le parc Sarmiento. Qui sont ces êtres que des clients attendent avec fébrilité ?
Ce sont des prostituées transsexuelles dont la narratrice, qui porte, comme l’auteure, le prénom de Camila, se fait l’ambassadrice en racontant leurs joies et surtout leurs peines.
Née dans un village perdu avec les caractéristiques physiques d’un garçon, Camila se sent mal à l’aise dans son corps et admire celui des femmes et leurs atours.
Peut-être est-ce la haine d’un père violent qui l’a exhortée à se transformer ? « Je ne pouvais pas être un homme dans ce monde-là » écrit-elle. C’est aussi la hantise du suicide qui la poursuit depuis l’enfance qui va la pousser à se travestir. Comme une forme de rédemption.
Encore adolescente, elle fuit sa famille pour la ville où elle suit des cours à l’université et fait le tapin dans le parc pour pouvoir vivre tout en constatant que la prostitution est nécessaire « au désir interdit que les habitants de la terre éprouvent à notre égard ». Les putes, qu’elles soient trans ou pas, seraient une réponse à la misère affective et sexuelle.
Une nuit, les trans découvrent un enfant qu’elles confient à Tante Encarna. Agée de 178 ans, sorte de réincarnation de la Difunta Correa, sainte très populaire en Argentine, celle-ci tient une « pension qui est le paradis des tantouzes ».
Mais, dans la rue, l’éden est bien loin. Pour séduire les consommateurs avides de formes rebondies, elles ont martyrisé leurs corps en s’injectant, pour certaines, de l’huile de moteur d’avion qui se diffuse dans l’organisme et les empoisonne à petit feu.
En plus de ces souffrances auto-infligées, elles se font insulter, violenter, humilier, stigmatiser, ostraciser, tuer… mais ont aussi de la ressource pour se défendre et de la rage contre le « monde légitime ».
Sans sentimentalisme, Camila Sosa Villada raconte avec fureur et âpreté son destin et celui de ses sœurs de coeur et de corps.
Le réalisme et la crudité du récit sont équilibrées par le recours, dans la grande tradition de la littérature sud-américaine, au réalisme magique conférant à cette chronique des laissés pour compte une allure de conte aux accents fantastiques, surréalistes et délirants.
« Les vilaines », c’est aussi une leçon de courage, courage de celles qui ont réalisé leurs rêves en bousculant la soi-disant normalité imposée par une société bien-pensante hypocrite et confite dans la religion.
EXTRAITS
- Rien qu’à l’idée d’un vagin, nous étions prises de vertiges et de frissons.
- Je me maquille et, dans le visage de l’enfant, je vois celui de la putain que je serai plus tard.
- A partir de ce jour-là, mon corps a eu une autre valeur. Il a cessé d’être important. Désormais, c’était une cathédrale de néant.
- Sans les prostituées, ce monde sombrerait dans la noirceur de l’univers.
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