Critique – Toutes les vagues de l’océan – Victor del Arbol – Actes Sud
Comme souvent, Victor del Arbol aime placer ses personnages au cœur des chaos de l’histoire. Cette fois-ci, il n’a pas lésiné sur les moyens.
Le roman commence au début des années 2000 à Barcelone. Un enfant est assassiné. Il était le fils de Laura, une brillante journaliste reconvertie dans la police pour se transformer en justicière, dont on apprend le suicide quelques pages plus loin alors qu’elle est accusée d’avoir assassiné le meurtrier de son enfant, un sinistre mafieux russe. Lorsqu’il apprend la mort de sa sœur, Gonzalo Gil n’est pas plus affecté que cela. Il a rompu depuis longtemps les liens avec celle qui a tout fait pour détruire l’image de héros de son père entretenue par sa mère et qui lui a reproché d’avoir épousé la fille d’un richissime avocat véreux. Et pourtant, lorsqu’ils étaient enfants, sa sœur aînée l’a toujours protégé…
C’est peut être en souvenir de ces années que le fade avocat va mener l’enquête interrompue par la mort de Laura. Ou peut-être pour montrer qu’il le fils de ce père valeureux qu’il a peu connu.
70 ans plus tôt, Elias, le géniteur de Gonzalo, part en URSS pour proposer ses compétences d’ingénieur. Pour une broutille (le paranoïaque Staline ne rigole pas), il est déporté, avec 6 000 autres personnes, à Nazino, lieu de sinistre mémoire surnommée « l’île de la mort » ou encore « l’île des cannibales » où 4 000 exilés périrent en peu de temps. Il y fit la rencontre d’Igor Stern, un personnage à la cruauté effrayante qui le poursuivit jusqu’à son énigmatique disparition en 1967. Il trouve aussi l’amour sous les traits d’Irina, une femme chirurgienne d’une grande beauté flanquée d’une petite fille prénommée Anna. Pour ne pas déflorer l’intrigue, je tais la suite des « aventures » d’Elias, un type trop humain, avec toutes les passions bonnes et mauvaises que ce terme induit, pour être considéré comme un modèle. Loin de là.
Avec un grand talent de conteur, Victor del Arbol nous balade dans les époques à la rencontre de personnages forts dont il aime fouiller la personnalité forcément complexe. Il souligne combien les idéaux sont illusoires et à quel point leur perversion, inévitable, conduit au totalitarisme. Comme le soulignait Kroupskaïa, la femme de Lénine, ce ne sont pas les idées qui nous trahissent mais les hommes qui les mettent en pratique. J’ajoute : les héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
EXTRAITS
- L’enfant flottait, à plat ventre, comme une étoile de mer, et les gouttes de pluie, par millions, effaçaient son corps qui coulait doucement.
- Cette patrie était merveilleuse. On pouvait violer, tuer, voler, du moment qu’on avait l’esprit politique. Mais écrire un mot pouvait être pire que tout. Une blague sur la mère de Staline était comparable à un viol. Dix ans de réclusion. Les mots étaient à cette époque étrange un océan des tessons de bouteille sur lesquels quelques hommes marchaient pieds nus. Le plus sûr, c’était le silence. Mais des naïfs et des idiots les utilisaient encore malgré les risques.
- La politique et la guerre n’entendaient rien aux idéaux, ni aux gestes héroïques. Tout était mort, souffrances infligées selon le bon plaisir de ceux qui organisaient ces tueries selon des calculs qui échappaient complètement aux soldats dans les tranchées et aux civils des villes martyres.
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