Critique – En guerre – François Bégaudeau – Verticales
« Plus juste serait de dire que Romain Praisse et Louisa Makhloufi n’habitent pas la même ville ». La première phrase du dernier livre de François Bégaudeau donne le ton.
Encore un roman sociologisant pourrait-on craindre ? Pas du tout ou plutôt pas tout à fait. Si l’auteur de « La blessure, la vraie » se penche sur les rapports entre les classes, il le fait avec subtilité et une bonne dose d’humour. Tout le monde en prend pour son grade et les dominants ne sont pas forcément ceux qu’on pense.
Alors que Romain vit et travaille dans le centre ville d’une bourgade de taille moyenne située à une heure de Paris, Louisa s’est excentrée dans une zone pavillonaire. Financièrement, le premier n’a rien envié à la seconde. Médiateur culturel, il n’est finalement qu’un prolo intello. La jeune femme travaille pour Amazon. Elle vit avec Cristiano menacé de se faire virer de l’usine Ecolex. Son affreux propriétaire décide de la fermer pour la délocaliser en Slovaquie. Avant de se retrouver au chômage, le compagnon de Louisa se lance dans un ultime baroud d’honneur en séquestrant le patron du site et une certaine Catherine Tendron, DRH qui « œuvre à professionnaliser les ressources humaines » et se présente « comme une technicienne en dialogue social » dont « l’art est d’amener à comprendre ce qu’il ignore qu’il veut » alors qu’elle n’est que cynisme et manipulation.
Son portrait est désopilant.
Tout le monde se fiche de la révolte des ouvriers qui se battent pour un emploi harrassant et mal payé. L’attentat de Charlie Hebdo de janvier 2015 monopolise en effet les médias…
Enfermé dans son pavillon acheté à crédit, Cristiano coule et l’énergique Louisa ne parvient pas à lui sortir la tête de l’eau. Se sentant abandonnée et en manque de sexe, Louisa se jette dans les bras de Romain, le genre de type qu’elle n’aime pas, manquant de virilité (bras imberbes et épaules de femme), agaçant avec ses discours truffés de références littéraires et cinématographiques qui l’indiffèrent. La culture, elle s’en fiche. Sa dernière lecture est « Lutter » de Rihanna. Son inculture crasse ne l’a jamais empêchée de vivre. La preuve. A sa manière, elle a fait preuve de courage en refusant de suivre le modèle de sa mère, une femme soumise et fatiguée par les heures de ménage. Et, dans ses rapports avec Romain, elle domine dans la mesure où elle nie ce qu’il est, un intello prétentieux, en ne retenant que son aspect physique.
Avec ironie et un sens de la formule acéré, François Bégaudeau pointe du doigt la violence sociale, l’absurdité du fonctionnement de nos sociétés et la ségrégation entre les classes. Son constat est amer : le changement n’est pas pour maintenant. Tout finit par rentrer dans l’ordre.
EXTRAITS
- Qui connaît une musulmane ? Personne. C’est fou ce qu’on est communautaristes.
- Il faut entendre le mépris dans la louange d’un riche à un pauvre.
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