Critique – Un bref instant de splendeur – Ocean Vuong – Gallimard
C’est en lisant le « Journal de deuil » que Roland Barthes a écrit un an après la mort de sa mère que Ocean Vuong a décidé d’écrire à la sienne une longue lettre de trois cents pages alors qu’il sait qu’elle ne la lira jamais.
Fille d’un GI et d’une paysanne vietnamienne, elle est en effet analphabète. Le narrateur-auteur a quitté Hô Chi Minh-Ville alors qu’il n’avait que deux ans. Il vit à Hartford dans le Connectitut avec une grand-mère schizophrène hantée par les bombes larguées par les Américains et une mère maltraitée et parfois maltraitante. Jusqu’au jour où, à l’entrée dans l’adolescence, il lui demandera d’arrêter de le frapper. Elle obéira. Cette violence, pourtant, il la comprend, les parents atteints de stress post-traumatique étant plus enclins à frapper leurs enfants. Pour les préparer à la guerre…
De manière chaotique, bousculant la chronologie, entre crudité et poésie (l’écrivain a été lauréat du Prix T.S. Eliot en 2018), entre rêve et réalité, entre désir et factualité, entre cruauté et tendresse, Ocean Vuong dévoile son homosexualité (il est l’un des porte-parole du mouvement queer), la difficulté à être un immigrant, à se construire une identité, lui qui n’est ni assez blanc ni assez jaune dans le regard de l’autre, le racisme, les discriminations, la pauvreté, la drogue qui tue, le deuil, les douleurs en héritage…
Il souligne combien les mots peuvent adoucir les blessures. Même s’ils s’adressent à quelqu’un qui ne pourra jamais en prendre connaissance.
EXTRAITS
- La liberté, paraît-il, n’est rien d’autre que la distance entre le chasseur et la proie.
- Seul l’avenir revisite le passé.
- Maman, s’exprimer dans notre langue maternelle, c’est parler seulement partiellement en vietnamien, mais entièrement en guerre.
- Il était blanc, j’étais jaune. Dans le noir, nos réalités nous embrasaient, nos actes nous terrassaient.
- Parfois, la tendresse qu’on vous offre semble la preuve même qu’on vous a abîmé.
- Je repense à la liberté, et que le moment où le veau est le plus libre est celui où la cage s’ouvre, et où on le conduit au camion pour l’abattre.
- Le ciel était de la couleur des ecchymoses.
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.
+ There are no comments
Add yours