Critique – Du côté de chez Swann – Marcel Proust – Grasset

Critique – Du côté de chez Swann – Marcel Proust – Grasset


 

« Du côté de chez Swann », premier volume de « A la recherche du temps perdu » se compose de trois parties qui, en apparence, n’ont pas réellement de liens entre elles. Et pourtant, elles sont fondatrices des six opus qui vont suivre.

  • « Combray » commence par l’une des phrases les plus célèbres de la littérature : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». Le narrateur, adulte, profite de son insomnie pour se rappeler son enfance à la campagne chez sa grand-tante. Il souffre de devoir renoncer aux soirées où les siens s’entretiennent avec leurs invités dont le fameux Charles Swann qui fascine déjà le fragile et sensible garçon mais que ses parents verront de moins en moins en raison d’un « mauvais mariage ». Cet éloignement est presque vécu comme une mort. Son unique réconfort est que sa mère vienne déposer un baiser sur son front. Le temps de l’attente est alors un délice insupportable que Proust, avec sa capacité à saisir les sentiments, rend réel et vrai.

L’angoisse de l’absence et le sentiment d’abandon que le narrateur a éprouvés, Swann l’a aussi goûtée. Ce sera le sujet de « Un amour de Swann ».

Autour de la mère adorée gravitent des personnages clés tels que la grand-tante ignorante et maladroite (« la seule personne un peu vulgaire de notre famille »), la fantasque grand-mère qui l’initie à la lecture avec une prédilection pour celle de George Sand, la servante Françoise, à la fois généreuse et cruelle. Le père apparaît rarement. S’il se moque des enfantillages de son fils, il sait aussi faire preuve de mansuétude.

C’est dans « Combray » que le narrateur expérimente la mémoire involontaire. En trempant une madeleine dans une tasse de thé, il fait ressurgir les moments de l’enfance. Tout est prétexte à ces réminiscences : un clocher, des fleurs… C’est le fameux temps retrouvé.

    • « Un amour de Swann » : Odette de Crécy, « demi- mondaine », est une fidèle du salon de Sidonie Verdurin. C’est chez cette dernière qu’elle emmène Charles Swann, « un homme charmant » qu’elle vient de rencontrer. Ce n’est pas sa beauté qui séduit le dandy cultivé. Il lui trouve même « mauvaise mine ». C’est l’intelligence tactique de la « cocotte » qui rend sa présence indispensable à Swann devenu dépendant et jaloux. Comme le narrateur, Swann aime les associations. La sonate de Vinteuil lui rappelle ainsi son amour pour sa maîtresse.

Parallèlement au récit de cette passion tourmentée, Proust nous régale avec une succession de portraits savoureux : Mme Verdurin, la snob qui entend bien concurrencer, avec son petit clan, les « ennuyeux » du Faubourg Saint-Germain et qui n’apprécie guère l’amant officiel d’Odette ; le Docteur Cottard qui étale sa culture sans aucun à-propos…

  • Noms de pays : le nom : dans cette dernière partie, Proust repasse au « je ». Le narrateur rêve de lieux qu’il aspire à visiter mais sa maladie l’en empêche. Il devra se contenter des jardins des Champs-Elysées où il se liera avec Gilberte, la fille d’Odette et de Swann. Comme le géniteur de la fillette, il est jaloux et souffre de l’absence de celle-ci.

    Que penser après avoir refermé le premier de « La recherche » ? L’impression d’avoir lu un chef-d’oeuvre, un récit intemporel capable de porter des mots sur le fonctionnement de l’humain en tant qu’être de mémoire, de sentiments et de sensations. Hormis sa description savoureuse et ironique de la comédie sociale, Marcel Proust a su se faire le virtuose du temps qui passe…

EXTRAITS

  • Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres.
  • Legrandin s’était trouvé en un instant lardé et alangui comme un saint Sébastien du snobisme.
  • Et la terre et les êtres je ne les séparais pas.
  • Il fut jaloux de l’autre lui-même qu’elle avait aimé.
  • Dire que j’ai gâché des années de ma vie (…) pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre.
  • On n’aime plus personne dès qu’on aime.
  • Ce sentiment de vénération que nous vouons toujours à ceux qui exercent sans frein la puissance de nous faire du mal.
  • Le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitive, hélas, comme les années.

+ There are no comments

Add yours