Critique – Changer : méthode – Edouard Louis – Seuil
Avec un titre comme un clin d’oeil ironique à la vogue des ouvrages de développement personnel, Edouard Louis nous entraîne dans son odyssée personnelle, un voyage intérieur, une course d’obstacles entre les milieux sociaux qui l’ont façonné et fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui.
Alors qu’il n’est pas encore trentenaire, il confie avoir « déjà trop vécu ». La pauvreté, l’humiliation, la violence, l’alcoolisme, le racisme furent le lot quotidien de son enfance vécue dans un village de la Somme si bien décrite dans sa première autofiction « En finir avec Eddy Bellegueule » dans laquelle il raconte le rejet de son homosexualité par sa famille et ses pairs. Cette attirance pour les garçons, il mettra longtemps à l’assumer.
Plus tard, à l’adolescence, il découvre le théâtre, fréquente le lycée, un endroit qu’aucun membre de sa famille n’aurait espéré rejoindre. Après les études secondaires, la fac, Normale Sup, l’écriture de livres, les voyages, les rencontres improbables…
Dans « Changer : méthode », le « transfuge de classe » reconstitue le puzzle d’une existence d’un peu plus d’un quart de siècle marquée par la fuite pour échapper à « l’Insulte ». Polymorphe, le roman prend la forme d’adresses au père, à la mère, à Elena, meilleure amie et étape essentielle, avec beaucoup d’autres qui lui ont tendu la main, vers la liberté, mais aussi d’auto-interviews et de narration sur le mode « Je est un autre ». La littérature est décidément le procédé idéal, par ses possibilités infinies, d’exprimer la métamorphose d’un être humain dans toutes ses subtilités et nuances.
Lucide, intelligent, le récit pourrait aussi être interprété comme un traité de sociologie, Edouard Louis étant une sorte d’incarnation bourdieusienne. Même s’il n’a échappé qu’en partie à la violence implacable de la reproduction, le passé vous rattrapant toujours. « Mon corps racontait une histoire différente de celle que je voulais façonner par ma volonté » écrit-il. L’imitation de ceux qu’il admire et auxquels il voudrait ressembler n’est pas toujours parfaite. Et elle est un éternel recommencement. Comment sortir de cette spirale infernale qui pousse le jeune homme vers le « toujours plus » ? Par l’écriture, forme de salut et de réconciliation avec lui-même.
EXTRAITS
- Le désir de vengeance contre mon enfance, celui qui m’avait amené à Amiens, s’était mué en un désir de revanche – plus seulement contre mon enfance mais contre le monde entier.
- Il a compris qu’il n’y avait rien d’autre que des rôles.
- Je me rends compte aujourd’hui qu’écrire mon histoire c’est écrire l’histoire de ces femmes qui se sont succédé pour me sauver.
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