
Critique – Le Con de minuit – Thibault Raisse – Denoël
« Le Con de minuit », c’est l’histoire d’un dîner de con transposé dans l’univers de la radio et qui finit mal pour le couillon, héros malgré lui d’une cabale odieuse fomentée par un certain Franck Bargine alias Max et ses acolytes irresponsables et malfaisants.
Tout commence en 1981 avec la libération, par le pouvoir socialiste, de la bande FM. Les radios pirates deviennent des radios libres et un vent de laisser-aller souffle alors sur ce média bientôt adulé par une jeunesse boudant la télé de papa.
Créée en 1985, Fun Radio est à l’avant-garde de la provocation, notamment avec l’émission « Lovin’ Fun » animé par Doc et Difool.
Gérard Cousin a la vingtaine bien tassée lorsqu’il devient fan des programmes nocturnes de la radio. Il appelle même l’antenne d’une cabine téléphonique de Suresnes où il habite et y récite des poèmes « avec une intonation de vieux canard bourré. »
Max a trouvé le bon client à ajouter à sa liste d’auditeurs-stars : Françoise de La Courneuve, Stéphane l’alcoolo ou encore Alain le Bègue.
La caricature du con qu’incarne Gégé est tellement énorme que certains pensent à un canular. En le faisant venir au siège de Fun à Neuilly, le doute est balayé : le poète est bien un authentique con !
Germe alors l’idée, dans le cerveau tordu de Max, de lui confier un rendez-vous régulier : « Les Débats de Gérard ». Le principe est de faire réagir les auditeurs à partir d’un thème et de questions préparées par l’animateur en herbe.
Deux exemples : « est-on assuré lors des inondations quand on n’a pas de bouée ? » (débat du 19 novembre 1998 sur les catastrophes naturelles ; « feriez-vous des câlins dans une voiture de course ? » (débat du 26 février 1998 sur le sport automobile).
« À l’insu de son plein gré », comme le souligne une journaliste de « Libération », le désormais trentenaire participe à « un authentique dîner de cons », « une farce géante dont il est le dindon. »
Alors que les meneurs du jeu cruel se gaussent, les ados, tapis sous la couette, mordent l’oreiller pour que leurs rires n’alertent pas les parents qui les imaginent lisant un livre prescrit par le collège ou le lycée
Les audiences explosent et un fan-club se crée autour de l’hurluberlu. Parmi les groupies, certaines se moquent ouvertement de lui, d’autres, un brin outrés, prennent en pitié cet adulte immature si naïf et attachant qui tient des propos absurdes et poussent, l’alcool aidant, des coups de gueule mémorables.
C’est néanmoins la première clique qui domine, séduite par l’idée d’appartenir à une coterie vénérant le génial Max, figure de proue d’une génération en mal de reconnaissance.
Évidemment les meilleures blagues, ou les pires selon l’endroit où on se situe, ont une fin.
En lançant un « Heil Hitler » venu d’où on ne sait, à part l’excès de gnôle, Gégé signe la fin de la partie et de sa collaboration à « Star System » qui l’a sorti de l’anonymat.
La vie du troubadour, faite de galères, de boulots qu’il abandonne au bout de quelques jours, d’amours éphémères (sauf avec Éliane avec laquelle il a eu une fille qu’on lui a interdit de voir), va déraper jusqu’à la déchéance absolue et la mort, d’un cancer généralisé, à l’âge de 43 ans. Après son décès, des groupes continuent de rendre hommage au poète, sorte de doudou générationnel, et aussi d’entretenir la nostalgie de leur jeunesse perdue.
Avec « Le Con de minuit », Thibault Raisse, qui lui aussi se délectait des saillies de Gérard, rend compte du parcours d’un gars comme il en existe des millions. Un gars qui a été rejeté et méprisé par une mère ivrogne et inconséquente. Un gars qui n’avait pas de repères. Un gars qui avait tout simplement besoin d’amour et, pour ce faire, était prêt à tout pour se distinguer et grappiller quelques miettes de gratitude.
Que serait devenu Gérard sans ce coup de projecteur dont il a « bénéficié » pendant six ans ? Personne ne le sait.
Avec son récit, le journaliste pointe du doigt la manipulation féroce dont il a été l’objet de la part d’hommes et de femmes en quête de gloire et prêt à tuer leur mère, en l’occurrence humilier un « bon » bougre, pour une blague au ras des pâquerettes. On pense bien évidemment à Max qui n’a décidément pas le beau rôle, même s’il donne le change avec ses accès de générosité comme une manière de se donner bonne conscience.
In fine n’est-ce pas lui le pauvre type ? Il est en effet tellement facile de se moquer d’un homme fracassé par la vie dont le QI atteint péniblement 74.
D’autres se montreront sincèrement bienveillants (l’exemple de Kévin est le plus manifeste) mais l’estropié de la vie refusera le plus souvent les mains tendues comme s’il ne pouvait croire en une gentillesse désintéressée, lui qui avait toujours était déconsidéré.
À la lecture du « Con de minuit », on éprouve l’impression d’un immense gâchis et une sensation de grande tristesse.
EXTRAITS
- C’est quoi la bisexualité Gérard ? Ben c’est deux femmes qui font l’amour ensemble.
- « Si je serais pas intelligent, je ferais pas des débats » (Gérard de Suresnes)
- Il a pris conscience que l’envers de la farce avait quelque chose de funeste.
- « Je voudrais vivre ici pour toujours », confie Gérard en contemplant la vallée.
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