Critique – Clair-obscur – Dan Carpenter – Cambourakis
Après dix-huit ans passés dans un établissement psychiatrique, Irwin Semple retrouve la liberté. A trente-cinq ans, il a vécu plus de la moitié de son existence enfermé pour un acte dont on connaîtra la teneur un peu plus loin.
Le personnel a été impuissant à soigner cet homme dont on ne sait de quelle maladie il souffre.
Agité de tremblements, d’une laideur repoussante, incapable d’aligner trois mots cohérents, Irwin doit à sa sortie affronter un monde toujours aussi impitoyable que celui qu’il avait quitté près de vingt ans plus tôt.
Considéré comme un idiot du village par ses « camarades » et maltraité par une famille où l’inceste et l’alcoolisme font office de vertus, il est difficile à cerner et c’est ce qui fait l’intérêt de ce personnage façonné par Don Carpenter. Un brin naïf, philosophant sur la beauté de la nature et le sens de la vie, lucide sur son physique repoussant et son élocution approximative, Semple est une victime toute désignée par les garçons « normaux », à savoir beaux parleurs, sportifs, tombeurs de filles… Tout ce qu’il n’est pas.
Alors qu’il tente de se réinsérer après sa sortie de l’asile dans un travail répétitif digne des « Temps modernes », il croise le cruel Harold Hunt, chef d’une bande d’abrutis par qui tout est arrivé.
Maniant le procédé classique des allers et retours entre le présent et le passé, l’auteur de « Sale temps pour les braves », a construit un bref récit puissant et d’une profonde tristesse sur un garçon trop différent pour trouver sa place dans une société implacable qui laisse sur le côté de la route marginaux et autres inadaptés. La « maudite engeance », comme sa « mère-grand-mère » l’appelle, est, malgré les apparences, loin d’être un imbécile. Il est juste un être sensible et pur auquel le lecteur, quel que soit le crime qu’il a commis, ne pourra que s’attacher.
« Clair-obscur » est un texte magnifique qui décrit avec une grande justesse la crasse, la misère, les travers de l’humanité et, surtout, les affres d’un garçon mal-aimé, seul et incompris. Sauf par un assistant social psychologue qui perçoit l’intelligence sous la façade peu avenante et par la tendre Rosemary, « une petite amie qu’il n’avait pourtant même pas cherchée ni désirée ». Enfin une lueur d’espoir !
EXTRAITS
- Il était devenu expert en beauté de la nature, pensant, puisqu’il avait l’opportunité de le faire, que chaque être humain avait ses défauts comme lui avait les siens, et que la beauté est ce qu’un homme n’a pas fabriqué ni touché.
- Sa vraie mère, assise à sa gauche et qui buvait du whiskey dans un verre à confiture, était censée être sa sœur, de quinze ans plus âgée, une femme de trente-deux ans à la peau brune et au regard maussade dont les seins étaient à moitié visibles sous une blouse blanche de paysanne, froissée autour du corsage, auréolée au niveau des aisselles, le tissu détendu par la chaleur sèche de la pièce.
- A d’autres moments, il se demandait s’il n’y avait pas un humain sous la coquille de tous les attardés et de tous ceux qui bossaient en usine, qui étaient tenus au secret par leur imbécillité ou l’imbécillité de la société qui les avait créés, qui avait besoin d’eux et les utilisait, puis les laissait mourir une fois qu’ils s’étaient reproduits.
- De parasite pénible à l’école il avait été réduit au rôle d’idiot du village.
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