Critique – Le sympathisant – Viet Thanh Nguyen – Belfond
Sont-ce ses origines qui ont conditionné le destin du narrateur ? Né d’une mère vietnamienne et d’un prêtre français, celui dont on ne connaît pas le nom est un agent double. Officiellement aide de camp du « général » responsable de la police et soutien des Américains dont il maîtrise bien la culture, lui qui a fait ses études aux États-Unis, il est aussi un parfait vietcong. Même dans ses relations d’amitié, il pratique le grand écart. Ses deux camarades d’enfance – Bon et Man – militent dans des camps opposés. Il communique avec le dernier en lui envoyant des messages codés via une tante habitant dans le XIIIème arrondissement de Paris !
Le début du roman se déroule en avril 1975 au moment de la chute de Saïgon qui donne lieu à une évacuation rocambolesque des Américains et de leurs alliés du sud.
« Le sympathisant » est la confession d’une taupe à un mystérieux commandant dont l’identité sera révélée à la fin.
Sur près de 500 pages, le trentenaire raconte son enfance de bâtard, ses premiers émois sexuels fort drôles avec un calmar mais aussi l’histoire du Vietnam après la seconde guerre mondiale et pose sur oncle Sam un regard acéré, amusé et cruel. La description du tournage d’un film sur la guerre d’un Vietnam réalisé par un Américain dont il est plus ou moins le conseiller est très cocasse. Elle dénonce la propagande culturelle des US qui fait des vaincus des héros.
Personnage complexe, « l’homme aux deux esprits » est capable du pire (assassinat, torture) comme du meilleur (amour pour sa mère morte à 34 ans de la tuberculose). Ce Janus est surtout est un être profondément solitaire qui, malgré les exactions qu’il a commises, est attachant.
Hors de tout manichéisme , « Le sympathisant » rappelle que, dans les guerres, il n’y a pas d’un côté les bons, de l’autre les méchants. La torture est universelle. C’est bonnet blanc et blanc bonnet.
Enfin, ce qui est original dans ce premier roman est qu’il donne la parole à un autochtone alors que la guerre du Vietnam a le plus souvent été écrite, on pourrait même dire réécrite, par les perdants qui ont magnifié leur lutte contre le communisme.
EXTRAITS
- Nos cellules étaient des machines à voyager dans le temps ; les prisonniers y vieillissaient beaucoup plus vite.
- Est-ce qu’on demandait à Kennedy s’il parlait le gaélique, s’il avait visité Dublin, s’il mangeait des patates tous les soirs ou s’il collectionnait des portraits de farfadets ? Alors pourquoi sommes-nous censés ne pas oublier notre culture ?
- Nous étions d’étranges étrangers, réputés avoir un petit faible pour le fido americanus, le chien domestique…
- Avant la victoire des communistes, les étrangers nous brutalisaient, nous terrorisaient et nous humiliaient. Maintenant, ce sont les nôtres qui nous brutalisent, nous terrorisent et nous humilient. Il faut croire que c’est un progrès.
- Si rien n’est plus précieux que l’indépendance et la liberté, le rien aussi est plus précieux que l’indépendance et la liberté !
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