Critique – Bleu nuit – Dima Abdallah – Sabine Wespieser
COUP DE COEUR
« C’était le 21 mars 2013 ». Ainsi commence le second roman de Dima Abdallah. En ce jour de printemps, le narrateur apprend la mort d’Alma, la femme qu’il a tant aimée.
Jusqu’à cette annonce, il vivait cloîtré dans son appartement de l’est de Paris, incapable de s’extraire de ce cocon en apparence protecteur.
Après avoir jeté les clés de son logement, il se confronte à la rue. Pour oublier Alma… Pour se guérir des angoisses du confinement qu’il s’est imposé…
Il prend ses quartiers autour du Père-Lachaise et, changeant de rue chaque jour de la semaine, rencontre des femmes dont le prénom, réel ou inventé, se termine par un « a ».
Ces femmes, qu’elles soient caissière de supermarché au bord du précipice, lycéenne anorexique, vieille dame, SDF moribonde, sont les miroirs de ses souffrances et de son propre exil intérieur que les fantômes d’antan, contre lesquels il se bat, vont aggraver. Jusqu’à la colère, jusqu’à la folie qui vous font croire que vous êtes vivant.
Cette solitude, elle va s’exacerber tout au long du récit. Malgré les attentions que les passantes ont à son égard et, surtout, en dépit de la présence presque spectrale de Minuit, la chienne qui pleure sur la tombe de sa maîtresse.
Via un long monologue intérieur d’une intense beauté hallucinatoire qui rend hommage aux invisibles des rues, l’autrice a tissé une émouvante mélopée qui pose des questions existentielles pour les pauvres humains que nous sommes :
peut-on oublier celui ou celle qu’on a été, peut-on faire table rase du passé, l’enfance ne vous rattrape-t-elle pas toujours ?
Avec « Bleu nuit », un bijou de poésie, Dima Abdallah, née au Liban, prouve une nouvelle fois qu’elle est une voix singulière et attachante de la littérature d’expression française.
Sélectionné par les libraires de l’Armitière dans le cadre du prix des lecteurs 2022, ce roman est l’un des plus beaux que j’ai lus ces derniers temps. Merci à eux pour cette belle découverte.
EXTRAITS
- J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, mais j’enterre chacun d’eux, l’un après l’autre, dans les cimetières des rues de l’oubli.
- On renonce à beaucoup de choses avant de renoncer au pain frais.
- Entre ce qui est utile et ce qui est beau, elle a choisi ce qui est beau.
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