Critique – Ceux qui partent – Jeanne Benameur – Actes Sud

Critique – Ceux qui partent – Jeanne Benameur – Actes Sud


Même si « Ceux qui partent » est un roman, sa construction fait penser à une pièce de théâtre classique respectant les unités de lieu – New York – de temps – vingt-quatre heures – et d’action, le récit ne s’embarrassant pas d’intrigues secondaires.

En 1910, des navires accostent les quais de Ellis Island. A leur bord, des exilés en provenance de toutes les parties de l’Europe venus aux Etats-Unis pour diverses raisons.

La fière et élégante Emilia a quitté l’Italie attirée par le vent de liberté qui souffle sur ce jeune pays. Elle a persuadé son père Donato, comédien renommé et veuf inconsolable, de l’accompagner. Dans sa main, le patriarche serre « L’Enéide » de Virgile, un « livre qui ne le quitte jamais » et qui met en scène un personnage, Enée, qui, contrairement à Ulysse, part sans se retourner.

Pour immortaliser l’arrivée de ces émigrés, Andrew Jonsson photographie. Est-ce parce qu’il est lui-même le fils d’un homme venu de son Islande natale à l’âge de 10 ans qu’il se poste à chaque arrivée de bateaux ? Parce qu’il est seul, il se sent encore plus étranger que ces inconnus serrés les uns contre les autres.

Esther, venue d’Arménie, a fui le massacre de tous les siens. Emilia se sent investie d’une mission d’assistance à « cette femme que plus rien ne protège ».

Il y a aussi Gabor, le Bohémien qui fait pleurer son violon pour séduire la belle Emilia. « Le violon dit que le désir est tout » écrit Jeanne Benameur. C’est là que le récit bascule. Avec l’arrivée de la nuit, la chair s’affole, les corps s’étreignent, les langues se délient.

J’ai bien aimé la première partie qui campe ces femmes et ces hommes qui ont tout laissé pour vivre dans un pays qui va les trier comme du bétail alors qu’il s’est construit par l’apport d’étrangers et qu’il ne serait rien sans ces courageux Européens. Si l’on exclut les autochtones et les anciens esclaves, la population américaine est majoritairement composée de personnes ayant fui pour diverses raisons. Mais, dès 1907, avant que des quotas soient mis en place dans les années 1920, la politique d’immigration est de plus en plus restrictive. Et ceux qui sont nés sur le territoire semblent avoir oublié leurs origines et le déchirement de l’exode que leurs ancêtres ont vécu. A l’instar de la mère d’Andrew, descendante d’une famille embarquée sur le Mayflower et qui ne comprend pas pourquoi son fils passe ses journées à Ellis Island au lieu de s’intéresser aux affaires de son père.

En revanche, la seconde partie m’a un peu ennuyée. Reste l’écriture, toujours magnifique.

EXTRAITS

  • Tant que nous parlons notre langue, notre pays, même loin, même dévasté, est habité.
  • C’est un de ces moments de grâce où la vie retourne à son essence même. On est vivant. Simplement.

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