
Critique – Disco inferno – Sans soleil – Jean-Christophe Grangé – Albin Michel
« Paris est une fête » écrivait Ernest Hemingway à propos des années folles. Soixante ans plus tard, la fiesta va bientôt se terminer, surtout pour la communauté gay frappée de plein fouet par un étrange et insaisissable mal qui anéantit les défenses immunitaires des patients. Le sida commence tout juste à prendre ses quartiers dans les endroits LGBT friendly.
Les maladies, les homos ont l’habitude de s’y frotter compte tenu de la multiplicité de leurs relations sexuelles.
Si la plupart des MST (chlamydiose, blennoragie et autres réjouissances) qui les affectent se soignent, la nouvelle calamité qui s’abat sur eux est fatale.
Alors qu’une partie du corps médical s’inquiète (c’est le cas du formidable Daniel Ségur, personnage de fiction rattaché à l’Institut Arthur-Vernes, la Mecque des maladies vénériennes, et du non moins formidable Willy Rozenbaum, qui a réellement existé et a codécouvert le virus létal), tout le monde s’en contrefiche.
Malgré la violence de l’épidémie, les gays sont insouciants, trop heureux que Mitterrand ait dépénalisé l’homosexualité leur ouvrant une libération jubilatoire. Même s’ils continuent, pour la plupart d’entre eux, de cacher leur attirance sexuelle à leur entourage.
En attendant, ils profitent à fond du vent d’affranchissement qui souffle sur la capitale dans des lieux qui leur sont dédiés.
La rue Sainte-Anne sert de refuge à toutes leurs audaces et à toutes leurs débauches.
Cette artère au cœur de Paris, Federico Garzon la connaît bien. Le Chilien a dix-huit ans, est lycéen le jour et jouisseur la nuit. Il est toujours flanqué d’Heidi Becker, une gamine, aux faux airs de Debbie Harry, surdouée, ambitieuse et dure au mal. Les deux vont former un couple à la Bonnie & Clyde prêt à tout pour survivre.
Pour le jeune, la fête est belle et bien terminée et elle va s’écourter plus vite que prévu. Atteint du « cancer gay » et suivi par Daniel Ségur qui l’a pris en affection, il est en phase terminale. Sauf qu’on retrouve son corps « en morceaux, débité à la hache ».
C’est l’inspecteur principal bien fait de sa personne Patrick Swift, jeune flic solitaire et inflexible aux méthodes borderline et intuitives, « fasciné par la violence » et la psychologie des criminels, qui se colle à l’enquête.
Cette première boucherie ne sera pas la seule. Elle résonne avec une autre affaire sordide : celle du Tueur des tasses, celles-ci étant le nom argotique donné aux pissotières qui, à cette époque, faisaient du partie du paysage urbain avant de laisser la place aux sanisettes adaptées aux femmes !
Très bien documenté, ce premier volume d’un diptyque intitulé « Disco inferno » nous plonge dans un monde interlope peu abordé par le roman noir qui retrace salutairement ce que furent le début des années 1980 avec ses orgies de sexe et de drogue, la percée inexorable du sida, la souffrance des malades et leur stigmatisation par une partie de la société qui se réjouissait presque de cette malédiction quasi divine qui s’abattait sur eux.
À la fois marqué par un réalisme très cru, une construction sans bavure, des personnages hauts en couleur et un rythme trépidant, « Sans soleil » nous captive jusqu’au bout.
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